Wed 10 Dec 2025
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Question de croire

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Question de croire


Est-ce que les Églises prennent le problème du racisme au sérieux?
 
Le message de Jésus était pour l’ensemble de l’humanité. Alors, pourquoi retrouvons-nous toujours du racisme à l’intérieur de nos Églises? Pourquoi est-ce si difficile de changer ou de voir les choses du point de vue de l’autre?  
Dans cet épisode, Joan et Stéphane partagent des expériences d’inconfort, réfléchissent sur nos biais et discutent de la différence entre racisme et racisme systémique.
 
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* Musique de Lesfm, pixabay.com. Utilisée avec permission. 
* Photo de Brian Lundquist, unsplasch.com. Utilisée avec permission.
 
Bonjour, bienvenue à Question de croire, un podcast qui aborde la foi et la spiritualité, une question à la fois. Cette semaine, est-ce que les Églises prennent le problème du racisme au sérieux?
Bonjour Stéphane. Bonjour, Joan, bonjour à toutes les personnes à l\'écoute.
 
Avoir des biais et des préjugés
 
[Joan] J\'ai une anecdote qui me concerne. C\'est-à-dire que pour une fois, je me moque de moi-même.
J\'avais une réunion avec un collègue et pendant la même réunion, je me suis plainte à un moment donné d\'un racisme que je considérais résiduel dans la communauté.
Et à un autre moment de la réunion, je ne sais pas ce qui m\'a pris, mais j\'ai imité une dame d\'un certain âge de la bourgeoisie genevoise. Parce qu\'elle m\'avait parlé, elle m\'avait dit « oh, mais enchantée, très bien, très bien ». Et j\'avais bien réussi à l\'imiter.
Ils rigolent un peu, puis le collègue me dit « Ce n\'est pas raciste ça, d\'imiter une vieille dame bourgeoise genevoise ?».
Alors, je ne sais pas. Je suis restée avec cette question, à m\'interroger moi-même sur mes propres ressorts un peu racistes, un peu classistes. Est-ce que c\'est OK de se moquer des accents bourgeois? Après tout, elle a été élevée comme ça.
Une fois, on avait parlé, toi et moi, et tu m\'avais dit, c\'est vrai que je suis un mec blanc depuis plus de 50 ans, mais je ne l\'ai pas choisi.
C’est vrai que souvent, quand on est bourgeoise et âgée, ce sont des choses qu\'on ne choisit pas vraiment. Est-ce qu\'on choisit son accent? Est-ce qu\'on doit en changer pour avoir l\'air moins bourgeoise ou moins française ou moins autre chose? Probablement pas, finalement. Donc voilà, on a nous-mêmes nos propres biais et ça peut être intéressant d\'y réfléchir.
 
La difficulté avec les pasteurs venus d’ailleurs
 
[Stéphane] C\'est vrai que je n\'ai pas choisi d\'être caucasien. Je n\'ai pas choisi de naître en Amérique du Nord. Comme je dis souvent, si j\'étais venu au monde au Burkina Faso, ma vie serait complètement différente.
Je crois qu\'il y a un peu d\'angélisme dans les Églises, dans le sens où on a cette idée que nous sommes une Église universelle, que Jésus accueille tous et toutes et sans distinction. Oui, je suis pas mal convaincu que Jésus-Christ accueille tous et toutes.
Le problème, ce sont les gens dans l\'Église… c\'est malheureusement une autre chose. Qu\'on le veuille ou qu\'on ne le veuille pas, les Églises chrétiennes ont un lourd passé colonial. On envoyait des gens avec un message quand même assez clair, vous allez dans des pays sous-développés, vous allez les sortir de leur culture et religion primitive.
Maintenant qu\'il y a ce qu\'on appelle une crise de vocation dans nos Églises, nous avons de la difficulté à trouver des pasteurs occidentaux. On se dit bon, on a été évangéliser les gens là-bas, ben ils vont nous renvoyer des pasteurs. C\'est un échange de bons procédés.
Et d\'un coup, hop, ils sont différents, ils parlent différemment, ils arrivent avec d\'autres cultures. Là, ça ne marche pas.
Donc, il y a une espèce de pensée magique que le racisme, la discrimination ou du moins l\'inconfort n\'existent pas. Ce n\'est pas vrai.
 
Prendre le temps de bien se comprendre
 
[Joan] J\'aime beaucoup que tu parles de l\'inconfort. Je trouve ça génial en fait. L\'inconfort, c\'est ce qu\'on ressent tous et toutes lorsqu\'on est avec quelqu\'un de différent. Et c\'est ok de ressentir de l\'inconfort.
Quand c\'est quelqu\'un qui est dans une situation de vulnérabilité, c\'est une personne qui fait déjà beaucoup d\'efforts, ce n\'est pas ok de lui montrer notre inconfort en fait. Il faut qu\'on arrive à trouver d\'autres endroits où déposer cet inconfort.
Quand c\'est quelqu\'un qui nous met dans une situation un peu inconfortable, mais qu\'elle le fait un peu sciemment et qu\'elle le fait depuis une place quand même avec des privilèges, on peut l\'interpeller et lui poser la question. Et ça se passe bien souvent.
J\'anime une petite page Instagram, trois fois rien, sur le ministère que j\'ai la bénédiction de vivre depuis trois mois avec des personnes qui sont en situation migratoire, et pour une partie d’entre eux, qui sont en train de s\'installer ici en Suisse.
Et sur cette page Insta, dont je peux donner la référence si les gens nous écrivent, pas de problème, je racontais qu\'à la fin d\'une entrevue avec une marraine, donc une dame qui va former un tandem avec quelqu\'un qui est arrivé depuis pas longtemps en Suisse, à la fin de la conversation, elle me dit « Mais pourquoi vous dites tout le temps “comme dit” ? »
En fait, ça vient de wiegesatack et c\'est un alsacisme. En fait, les Alsaciens disent « comme dit » pour dire « comme nous l\'avons dit » ou « comme je te l\'ai dit » ou « comme ça a été dit ». On dit « comme dit ».
Elle me l\'a dit comme ça, un peu à brûle pour point, mais avec un sourire et tellement gentiment. Et elle m\'a expliqué qu\'en fait, ça faisait une heure que je lui répétais « comme dit », « comme dit », « comme dit ». Et puis moi, je n\'en avais pas du tout conscience.
Donc parfois on est un petit peu inconfortable, notamment parce que c\'est une expression qu\'on ne comprend pas, qu\'on n\'est pas sûr de suivre le fil de l\'autre.
Je me rappelle qu’une fois, je parlais avec un collègue congolais qui s\'appelle Moussa et que je salue au passage. Et j\'avais besoin d\'avoir une réponse à une question. Il me dit « Ah, si, si. Non, non. Voilà! » Voilà, j\'avais des réponses, cela dit, mais pas du tout celle que j\'attendais.
C’est intéressant, parce que des fois ce n\'est pas possible. On n\'arrive pas à répondre. Il y a une distance culturelle. La question telle que posée ne correspond à rien, cognitivement, de ce que nous on connaît.
Et si, sinon, on voit là, c\'est une façon très polie de dire, voilà, laisse-moi du temps, je n\'y suis pas encore, ta question me surprend, je ne la comprends pas. C’est OK aussi de se prendre ce temps-là. Ça peut éviter des réactions racistes, en fait, de se donner du temps.
 
Le racisme ethnique dans la Bible
 
[Joan] Par rapport au racisme, il y a eu un avant et un après pour moi dans ma lecture de la Bible. Et c\'est quand j\'ai compris que Aaron, le frère de Moïse, avait renvoyé dans le désert les femmes étrangères dans une espèce de recherche de purification ethnique.
Vous ne vous marierez pas avec des étrangères parce qu\'elles avaient d\'autres dieux, elles n\'avaient pas un dieu unique ou alors pas le dieu unique tel que le peuple hébreu le comprenait.
J’étais saisie d\'horreur et je me suis dit, mais quel racisme horrible de prendre des femmes, d\'avoir des relations avec ces femmes, même des enfants, et puis d\'un seul coup de leur dire « on ne veut pas de vous, on vous renvoie dans le désert ».
Qu\'est-ce qu\'elle peut bien devenir, une femme seule ou plusieurs femmes seules dans le désert, parfois avec des bébés sous le bras? Quel est leur avenir en fait?
Je me suis rendu compte que la Bible portait en elle beaucoup d\'histoires teintées par ce racisme, ce racisme ethnique, tribal, ce besoin un peu de purification, et tout ça pour honorer Dieu.
C’est dur, après, d\'en faire quelque chose, de s\'en saisir et de s\'en dessaisir, d\'être loyale; ça, c\'est notre épisode de podcast d\'il y a deux semaines. Et en même temps, de ne pas tomber dans une sorte de sectarisme, de racisme, quoi.
 
Tenter de devenir conscient du problème du racisme
 
[Stéphane] C\'est vrai que les écrits bibliques ne sont pas neutres. C\'est l\'histoire du peuple de Dieu, donc avec tout ce qu\'il y a de plus beau et de moins beau.
C\'est sûr qu\'on aime bien le passage de Galates, chapitre 3 : « Il n\'y a plus de Juifs, ni Grecs; il n\'y a plus d\'esclaves, ni libres; ni hommes ni femmes. Nous sommes tous un en Jésus-Christ. » Puis là on dit: “ah que c\'est beau”.
Mais lorsqu\'on y pense quelques secondes, pourquoi l\'auteur a-t-il voulu écrire ça? C\'est parce que, probablement, il y avait un problème. Probablement, il y avait des gens qui disaient « Ah, eux, ce sont des Grecs; eux, ce sont des Juifs; puis eux, ce sont juste des esclaves; nous, on est libres. »
Il y a ces problèmes-là qui sont là probablement depuis le début de l\'humanité et l\'Église n\'y échappe pas; il faut en être conscient. Ça ne veut pas dire qu\'on est mauvais, mais lorsque l\'on devient conscient du problème, on peut y travailler.
L\'Église Unie a décidé, il y a quelques années, d’être une église antiraciste. Encore une fois, bravo, mais cette position-là a émergé après que plusieurs personnes aient raconté des histoires vraiment touchantes et très tristes, de racisme et tout ce qui venait avec, de discrimination, de commentaires vraiment pas gentils.
L\'Église a pris conscience du problème. Elle n\'a pas dit qu’on est meilleur, non ça n\'existe pas. L\'Église a plutôt décidé de dire, oui, nous avons un problème et nous allons y travailler. Nous allons y faire face. Et c\'est ça qui est difficile pour une Église, une paroisse, d\'être capable de reconnaître notre problème.
 
Multi culturalité et interculturalité
 
[Joan] Tu sais qu\'en fait, ce verset de Galates 3, mais tu dois le savoir, en tout cas tu l\'as appris dans un de tes cours de théologie, se situe dans un contexte de liturgie de baptême.
Et du coup, on a commis un petit article, ma collègue Juliette Marchais et moi, collègue qui exerce en Alsace, dans le bouquin Bible, genre et sexualité, ni mâle et femelle, sous la direction de Sébastien Douane. C\'est un petit peu notre article qui a donné le nom au bouquin.
On a fait un article sur la question des liturgies de baptême. Est-ce que les liturgies de baptême utilisent Galate 3? Et la réponse est non. C\'est-à-dire qu\'en fait, il en est fait mention parfois dans les marges, ou bien un petit peu. Par exemple, ils disent « il n\'y a plus ni homme ni femme, car vous êtes un en Jésus-Christ ». Et puis le côté « ni juif, ni grec, ni esclave, ni libre », ça disparaît.
Donc c\'est intéressant parce que quand c\'est utilisé, c\'est utilisé de façon tronquée et finalement c\'est peu utilisé pour te dire que c\'est un verset qui n\'est pas du tout consensuel.
Comme tu dis, d\'un seul coup on le brandit, c\'est quand on n\'en peut plus. Pourquoi? Parce qu\'on n\'ose pas assez se confronter à ce verset qui est pourtant riche et autour duquel on peut avoir des discussions franches.
Et d\'ailleurs, en parlant discussion franche, j\'ai remarqué aussi quand je parle avec des gens de multi culturalité ou d\'interculturalité, qui sont deux choses différentes.
La multi culturalité c\'est quand on est dans une communauté ou dans une église avec le grand E, un peu côte à côte. Une fois de temps en autre, on fait un truc ensemble. Ah, c\'est super! Une fois par an, on fait le culte avec les Hmongs. Ah, ils préparent des petits nems succulents, c\'est formidable et c\'est joli, les chapeaux des dames. Et puis après, chacun retourne dans sa communauté, manger ses trucs et porter ses jeans et ses costumes habituels. Ça, c\'est multiculturel.
On aime bien la différence de l\'autre. D\'ailleurs, une fois par an, on se prend en photo avec.
Interculturalité, c\'est plus régulièrement mélanger les choses, les mélanger au risque que des fois ça frotte, ça coince. On recule aussi des fois, ou on avance.
Et moi ce que j\'ai souvent entendu quand je témoignais un peu de ce que nous vivions dans l\'Église réformée francophone de Zurich, où il y a une chorale avec des personnes qui viennent de toute l\'Afrique, et puis la communauté est majoritairement blanche avec une chorale majoritairement noire.
Donc des fois ça donne lieu à des questionnements, il y a plein de choses qui peuvent se passer.
Des fois j\'en parlais autour de moi quand j\'étais en ministère là-bas. Et il arrivait souvent qu\'on me dise « Ah bon? Ah, chez vous, des fois, il y a des tensions, des frottements, des interrogations?
Ah, pas chez nous, on a une famille érythréenne et ça se passe très bien. Qu\'est-ce qu\'ils sont bien élevés, les enfants. La dame, elle aide toujours et le monsieur, il porte les chaises. Ah non, nous, avec notre famille érythréenne, tout va très, très bien. »
Ou bien le classique « Oh, on a un réfugié, Bienvenue. » Il s\'appelle Bienvenue. Toute la communauté l\'aide. On l\'invite à manger à tour de rôle, ah non, nous on n\'a pas de problème.
Et ça, c\'est un petit peu la différence entre avoir une famille érythréenne, un réfugié qui s\'appelle Bienvenue, ou bien être carrément moitié-moitié. Parce que dès qu\'il y a plus de personnes venant d\'ailleurs que venant d\'ici, ça pose question. Et que ça pose question, c\'est OK en fait. Moi, je comprends que ça pose question.
D’ailleurs, c\'est bien qu\'on se pose des questions. Quand on arrêtera de se poser des questions, ce ne sera plus bon. Mais si ça tourne au non-dit ou au conflit, c\'est là qu\'on se dit, on a du boulot à faire en tant que pasteur.
Comme cette anecdote du jeûne fédéral qui m\'a été rapportée par un collègue, dans une communauté avec beaucoup de personnes qui venaient d\'ailleurs.
Pour le jeûne fédéral suisse, d\'un seul coup, il y avait surtout des personnes qui venaient d\'ailleurs et pas beaucoup de personnes qui avaient l\'air de venir d\'ici. Et certaines personnes s\'en sont émues, en disant: si le jour du jeûne fédéral suisse, il y a plus de personnes qui viennent d\'ailleurs que de personnes qui viennent d\'ici, c\'est mal parti.
Ce n’est ni mal parti ni bien parti, c\'était comme ça cette année-là. Et ce sera peut-être différent l\'année suivante.
Finalement, ce qui est sûr, c\'est que le racisme, c\'est pénible. C\'est pénible pour tout le monde, même pour ceux qui sont un peu racistes ou qui ont du mal avec les questions de multi-culturalité, pour eux c\'est pénible. Mais en même temps, c\'est lorsqu\'il n\'y a que des personnes de la même origine qu\'il n\'y a pas de racisme à l\'Église.
Finalement, le racisme, c\'est quoi ? C\'est l\'expression d\'une multi-culturalité, c\'est l\'expression d\'une communauté qui est en mouvement, c\'est l\'expression de choses qui sont en train de changer. C\'est ce qu\'on appelle le point noir sur la feuille blanche. Sur une feuille blanche, on ne voit qu\'un point noir, mais ça veut dire qu\'il y a un point noir, et ça, c\'est cool.
Le racisme, c\'est l\'expression d\'un changement, c\'est l\'expression d\'un déplacement. Et c\'est vrai que nous, en tant que ministre du culte, on a un rôle à jouer là-dedans, puis toute la communauté aussi.
 
Racisme et racisme systémique
 
[Stéphane] En Amérique du Nord, pas juste aux États-Unis, au Canada aussi, il y a eu pendant longtemps des lois qui divisaient les personnes afro-descendantes des Caucasiens. Et ces lois sont disparues pour trois quarts de siècle, au moins, tout dépendant des endroits. Ceci dit, dimanche matin, à l\'église, c\'est encore le moment de la semaine, l\'endroit où la société est la plus ségrégationnée.
Même si c\'est accepté, même si au travail, on peut avoir des gens de différentes origines, de différentes cultures, on dirait que le dimanche matin, on va à une église blanche, on va à une église latino.
Je peux comprendre un certain sentiment de tribalisme, dans le sens où on veut être entouré de gens qui me ressemblent, qui sonnent comme moi, qui ont les mêmes référents, mais en même temps, ce n\'est pas la société dans laquelle on vit.
On dirait qu\'on essaie de créer comme un espace parallèle. OK, quand je vais à l\'épicerie, je suis entouré de gens un peu différents, mais dans mon Église, ah là, là, on est tous des Québécois, cinquantenaires, tous pareils.
Mais c\'est à ce moment-là, moi, je trouve que l\'Église perd sa pertinence. Si on n\'est pas intégré dans notre société, si on n\'est pas prêt à faire face justement à ces défis, c\'est sûr que c\'est désagréable. Personne ne veut se faire confronter, personne ne veut se faire dire « ben ça c\'est peut-être une pratique raciste ».
Depuis quelques années, un des grands débats qu\'on a ici, c\'est la différence entre le racisme et le racisme systémique.
Il y a le racisme, les gens vont faire un propos raciste, et le racisme systémique. Les gens comprennent ça comme plus systématiquement. Non, c\'est le système qui est raciste, c\'est le système qui est brisé.
Lorsqu\'on prend pour acquis que tout le monde fonctionne selon les valeurs occidentales, c\'est ça qui est normal, c\'est ça qui est attendu. Et lorsque quelqu\'un vient d\'un autre pays et se comporte différemment, on ne l\'engage pas pour un boulot ou pour n\'importe quoi. Là, c\'est le système qui est vicié.
Juste un exemple, on a des comités comme toutes les Églises. On remarquait qu\'il y avait des appels pour participer à des comités et qu\'il n\'y avait pas d\'Autochtones qui portaient leur candidature.
Quelqu\'un a eu la brillante idée d\'aller voir les communautés autochtones. Il a dit, mais qu\'est-ce qui ne fonctionne pas? Est-ce que c\'est une question de langage? Ils ont dit, ben, pas vraiment. Nous, dans notre culture, personne ne va se porter volontaire. C\'est les anciens qui se rassemblent, qui disent, telle personne, je pense qu\'elle serait bonne pour cette position-là. Donc, il y a eu un changement.
Quelque part, le modèle qu\'on avait, c\'était le modèle blanc occidental. On était confrontés à un certain racisme dans le sens où le système prenait pour acquis que nos valeurs étaient les valeurs de tout le monde. Et on a été confronté à ça et on a réfléchi.
Mais c\'est sûr que ce n\'est pas plaisant de se faire dire que le système dans lequel nous on évolue très bien, ça va bien, tout va bien, moi je suis un homme caucasien, tout le monde m\'écoute.
Mais il y a des gens qui souffrent de ça, des gens qui souffrent du fait qu\'ils sont nés sur un autre continent, qui ont un nom à consonance entre guillemets « étrange » et n\'ont pas les mêmes chances que moi, c\'est sûr que c\'est difficile à accepter.
 
Les Églises identitaires
 
[Joan] C\'est bien que tu parles des églises issues de la migration comme ça, parce que je me rappelle pendant mes études de théologie, notamment pendant les journées doctorales de la faculté de théologie de Strasbourg, qui étaient obligatoires à un certain nombre d\'heures quand on était en doctorat.
Il y avait eu une période où il y avait énormément de réflexions autour des Églises ethniques ou bien affinitaires.
Puis après, il y a eu le mot afropéenne, des Églises afropéennes. Alors, entre-temps, on a rediscuté ce mot. Des Églises identitaires aussi.
À un moment donné, être d\'une culture ou d\'une nationalité, c\'était être identitaire. Mais moi, ça m\'amuse beaucoup parce que y a-t-il une église qui ne soit pas identitaire?
Parfois, on a des Églises multi-identitaires. J\'ai un collègue en Grande-Bretagne qui m\'expliquait qu\'il sert dans un consortium de trois paroisses.
Je ne me rappelle plus très bien des détails, mais une, c\'est méthodiste anglicane, l\'autre, c\'est méthodiste je ne sais plus quoi, et la troisième, ça s\'appelle église œcuménique parce que c\'est une période où plusieurs courants se sont mis ensemble pour créer un courant œcuménique.
Et il semblerait que ce soit pareil en Suède aussi, maintenant il y a de plus en plus d\'Églises post-confessionnelles qui s\'appellent œcuméniques et qui ont toutes sortes de marqueurs identitaires à l\'intérieur.
Donc, finalement maintenant on a des Églises multi-identitaires aussi, mais néanmoins elles restent identitaires. Et donc se pose un petit peu la question de comment peut-on imaginer une Église qui, dès le départ, semble assez multi-identitaire pour que, quand on y arrive, on n\'ait pas l\'impression d\'être invité dans la tribu de l\'autre?
Ça, c\'est intéressant parce que c\'est une question qui part de beaucoup de privilèges aussi, par exemple des privilèges blancs. On va dire oui, moi je vais dans une Église noire et puis je ne sais pas trop où m\'y mettre. Et puis d\'ailleurs, ce n\'est pas leur objectif que tu te sentes spécialement accueilli, selon certaines communautés.
Moi par exemple, quand j\'étais à New York, dans l\'une des communautés noires de Harlem. Ils m\'ont dit très clairement qu\'ils ont un quota. Ils prennent 25 Blancs, pas plus. Sinon, leurs cultes ne sont pas intéressants. Ils ont l\'impression d\'être scrutés. Puis les Blancs, ils n\'ont pas les us et coutumes. Ils ne chantent pas, ils ne dansent pas.
On m\'a bien expliqué qu\'il se trouvait qu\'étant ministre, j\'étais acceptée, mais alors du bout des doigts, vraiment.
Je comprends leur perspective. Est-ce que c\'est du racisme? Ils veulent pouvoir vivre leur expérience de culte noir, afro-gospel, puis c\'est tout.
Nous, par contre, si on fait ça depuis la place de privilège qu\'on a et qu\'on disait, oui, non, mais alors s\'il y a des gens qui viennent d\'autres cultures, voilà, ça allait nous déranger, ça ne va pas du tout, parce qu\'on parle depuis une autre place, quoi.
Mais on fait bien sentir souvent aux gens qu\'ils n\'ont pas les codes, qu\'on le veuille ou non.
Moi, je me rappelle d\'un culte où était venue une famille pentecôtiste et la dame s\'était bien habillée. Elle était canon belle, elle avait un chapeau et tout. Et à chaque fois que le pasteur disait quelque chose, elle disait « Amen! Alléluia! ».
Je ne sais pas, on n\'a pas eu l\'intelligence collective de le faire aussi un petit peu, pour qu\'elle se sente à l\'aise et elle n\'est plus revenue.
Ce sont des détails. On dirait que c\'est anecdotique mais en fait, ça veut dire beaucoup. Comment est-ce qu\'on peut faire pour que dans nos cultes, tout un chacun trouve un petit quelque chose où ils se disent « ah, mais là je suis à la maison ».
C\'est ce petit quelque chose qui fera de nous, individuellement et collectivement, des communautés en marche vers l\'antiracisme.
Ça ne se décrète pas d\'être antiraciste, ça se vit en fait. Et c\'est très, très compliqué parce que moi je peux penser que je suis antiraciste, mais en fait j\'imite les accents des autres des fois un petit peu de façon… et puis on peut penser qu\'on fait un culte panafricain, j\'ai fait ça aussi des cultes panafricains.
Pendant les réunions de préparation du culte panafricain, quelqu\'un a dit: ce serait quand même bien qu\'il n\'y ait pas trop de viande. Du coup, on a fait un buffet avec pas trop de viande et on a pu jeter la moitié du buffet parce que la plupart des personnes qui étaient là trouvaient qu\'un culte panafricain où on célèbre l\'Afrique, on mange de la viande.
C\'est hyper intéressant parce qu\'on va cumuler des expériences, des échecs, des réussites. Il faut absolument que l’on continue, qu\'on insiste, qu\'on persévère et qu\'on ait des lieux où on peut se raconter un peu tout ça. Des lieux qui incluent des personnes concernées dans nos démarches antiracistes.
Parce que comme tu l\'as dit avec l\'anecdote des délégués de la communauté d\'une autre culture ou de différentes cultures. Si on met en place des protocoles, mais qu\'on n\'inclut pas les personnes concernées dans nos protocoles, on va forcément viser à côté, comme tu l\'as dit.
Pour moi, ce sont des chantiers, des idées, des impulsions, et j\'aimerais tellement qu\'il y ait plus d\'endroits où on puisse partager ça.
 
Accepter l’inconfort
 
[Stéphane] J\'ai trouvé une expression que j\'aime bien: l\'inconfort universel. Que tout le monde se sente inclus et en même temps inconfortable, à peu près au même niveau.
Je te donne un exemple. Il y a quelques semaines, on m\'a invité à un culte. Toutes les personnes qui étaient là étaient des gens d\'origine du Cameroun. Je n\'avais pas de référent culturel pour la majorité des choses. Je ne connaissais pas les cantiques, la façon d\'organiser le culte n\'était pas celle que je connais.
Mais pour moi, ce fut une belle expérience parce que, un, ils m\'ont invité, ils m\'ont très bien accueilli, et deux, j\'ai découvert quelque chose.
J’ai surtout eu le rappel que les blancs sont coincés, parce que, oui, c\'était top énergie, l\'essence de la célébration. Je me suis dit, oui, mais c\'est vrai: pourquoi chez nous, c\'est toujours de la musique solennelle? Il faut toujours se concentrer et être sobre, alors que c\'est supposé être un jour de célébration?
Je ne dis pas nécessairement que c\'est mieux, mais j\'ai été confronté à mes préjugés, à mes façons de faire. Je me suis remis en question. Je n\'ai pas blâmé cette communauté-là pour ce qu\'elle faisait.
C\'est moi qui me suis remis un peu en question, qui ai essayé de grandir, qui ai essayé d\'évoluer comme fort probablement, j\'espère, ces personnes-là font la même chose lorsqu\'elles sont confrontées à d\'autres réalités.
Je pense que c\'est ça l\'espoir, lorsqu\'on accepte que ce soit différent, lorsqu\'on accepte que ce soit peut-être inconfortable. Lorsqu\'on accepte que l\'autre soit sûrement inconfortable, comment se rejoindre, comment se respecter tout en demeurant soi-même et en essayant de voir la façon dont l\'autre voit les choses, je pense que c\'est un bon début.
 
Conclusion
 
[Joan] Et encore une fois, Amen! Racontez-nous vous aussi vos expériences, si vous êtes d\'accord, d\'interculturalité inconfortable ou confortable. Dites-nous un peu comment vous vivez les choses, ça nous intéresse, écrivez-nous.
[Stéphane) Écrivez-nous [email protected].  Merci beaucoup à l\'Église Unie du Canada, notre commanditaire qui nous permet d\'être diffusés sur beaucoup de plateformes. Merci à Réforme.net aussi. Merci à toutes les personnes qui laissent un commentaire, un pouce en l\'air, une évaluation. C’est toujours bon pour le référencement. Merci surtout à toi, Joan, pour cette conversation. À bientôt. À bientôt.