Doit-on être loyal à son Église?
Doit-on être loyal à son Église?
La loyauté que nous ressentons envers notre Église doit-elle être plus importante que la liberté d’expression ou l’accomplissement spirituel? Et qui décide si une personne est loyale ou non?
Dans cet épisode Joan et Stéphane abordent la récente situation à Protesinfo, explorent la question de loyauté sur les médias sociaux et se questionnent sur les façons appropriées de critiquer la hiérarchie de son Église.
Bonjour, bienvenue à Question de croire, un podcast qui aborde la foi et la spiritualité, une question à la fois. Cette semaine, doit-on être loyal à son Église? Bonjour Stéphane. Bonjour, Joan, bonjour à toutes les personnes qui nous écoutent.
Peut-on visiter les autres Églises tout en demeurant loyal?
[Joan] J\'ai une petite anecdote sur cette histoire de la loyauté. Quand j\'étais jeune étudiante en théologie à Strasbourg, je me suis rendue dans une communauté, une communauté réformée.
Il y avait là un certain nombre de personnes investies à plusieurs niveaux de l\'Église.
Et moi, j\'étais à ce moment-là un petit peu comme quand on a 19-20 ans où on s\'intéresse aux autres Églises. On s\'en va voir à droite, à gauche, et j\'avais découvert un peu les Églises pentecôtistes. Il y avait des aspects que je trouvais intéressants dans ces églises, notamment la louange, le groupe de jeunes et tout.
Un peu innocemment, je commence à parler avec des personnes bien plus âgées que moi, tout à fait réformées, de mes petites découvertes dans les assemblées pentecôtistes, et l\'une de ces personnes me coupe et me dit « nous on est des réformées, on n\'a rien à voir, rien à faire avec les pentecôtistes ».
Alors ça, c\'était il y a 25 ans. Je lui ai dit : « quand même, on n\'a rien à faire, rien à voir? Ce sont des protestants comme nous! » « bof, pas vraiment, reste loyal à ton Église » m\'a-t-on dit.
Ça m\'a fait réfléchir un petit peu sur ce qu\'est la loyauté. Est-ce qu\'on va visiter les autres ou pas? Est-ce que s\'intéresser au culte des autres, c\'est être déloyal?
Il y a quelques années, j\'ai remarqué qu\'un certain nombre de ces personnes qui avaient pris aussi des années, et puis d\'autres qui n\'étaient pas les mêmes, mais qui étaient un petit peu des mêmes milieux s\'intéressaient très fortement dans des articles, dans des interviews, dans différentes émissions protestantes, à l\'essor des pentecôtistes.
Je vois sur Facebook une publication officielle d’une délégation des Églises luthéro-réformées qui était allée visiter je ne sais quelle grande Église pentecôtisante du côté de Paris. Ils avaient trouvé ça formidable et très intéressant.
Et, semblerait-il, ils allaient apprendre plein de choses de leurs expériences, parce que c\'était des assemblées très mélangées, avec tous les âges, et très très vivantes.
C\'est intéressant parce que finalement, qu\'est-ce que la loyauté là-dedans? Quelle est la différence entre ce que moi j\'ai fait il y a 25 ans comme étudiante et ce qui se fait là maintenant?
Et moi je ne l\'avais pas fait de façon intéressée ; ce n\'était pas parce que mes propres assemblées commençaient à s\'amenuiser, c\'était vraiment par curiosité.
Donc voilà, qu\'est-ce que la loyauté et qu\'est-ce qu\'on a en nous comme conflit d\'intérêts parfois, quand on s\'intéresse aux autres, quand on parle des autres, quand on va vers les autres?
Être loyal à quelle Église?
[Stéphane] Comme je l\'ai répété souvent, j\'ai grandi Catholique Romain et au début de ma vingtaine, j\'ai découvert l\'Église Unie du Canada et j\'ai transféré vers le protestantisme.
Et oui, il y avait chez certaines personnes un peu cette idée que j\'avais trahi ou délaissé, un peu comme on délaisse sa mère, son père, sa famille.
Ça n\'a pas été : « Ah, tu as trouvé la place que tu recherchais, on va célébrer ça ». Non, c\'est « On a perdu quelqu\'un ». Comme s\'il fallait que je demeure loyal, même si je me sentais inconfortable et pas satisfait dans une institution.
Mais en même temps, lorsqu\'on regarde l\'histoire de l\'Église, il y a toujours eu des personnes qui ont provoqué des choses, qui ont remis des choses en question.
En tant que protestant, est-ce que Martin Luther a été loyal à son Église? Certains diront non. Mais de quelle Église parle-t-on? Est-ce qu\'on parle de l\'Église Catholique romaine? Est-ce qu\'on parle de l\'Église de Dieu sur terre?
Je comprends que c\'est compliqué, je comprends que parfois il y a des notions qui amènent beaucoup d\'émotivité.
Lorsque quelqu\'un va un peu à l\'encontre de l\'ordre établi ou de ce à quoi on s\'attend, on a l\'impression que cette personne-là n\'est pas loyale, mais encore une fois, est-ce une question de loyauté ou est-ce qu\'une question de vouloir que la personne soit heureuse, se développe, trouve la place où elle devrait être?
La loyauté implique de prendre l’autre au sérieux
[Joan] C\'est vrai qu\'à titre personnel, je relie un peu la question de la loyauté à celle de l\'amour. C\'est ce que je dis souvent, parce que moi je suis quelqu\'un d\'assez... enfin objectif je n’en sais rien, mais j\'aime bien que les choses soient bien faites.
Ça m\'a amené parfois à être critique envers moi-même, envers ce qui se fait, ce qui se dit. En fait c\'est parce que pour moi aimer, c\'est prendre l\'autre au sérieux.
Prendre l’autre au sérieux, c\'est lui dire, écoute, sincèrement, ce que tu as dit, ce que tu as fait là, je ne m\'y retrouve pas. Est-ce qu\'on peut en discuter? Ou, parfois, poser des limites. Parce que c\'est un amour véritable, un amour qui n\'est pas dans le faux semblant.
Mais aussi, aimer l\'autre, c\'est ne pas lui faire de mal. Et c\'est là que je comprends aussi qu\'être loyale, c\'est complexe, parce qu\'avec ma perspective, c\'est à la fois prendre l’autre au sérieux et ne pas lui faire de mal.
J\'aime dire les choses clairement, distinctement, poser mes questions, mais je ne voudrais pas nuire à mon Église. Et ça, c\'est très important, je ne voudrais pas nuire aux témoignages de l\'Évangile.
En même temps, comme j\'aime mon Église, je ne voudrais pas me taire quand les choses ne vont pas bien, que ce soit au niveau global, que ce soit au niveau local. Je trouve que c\'est un chemin difficile, c\'est une posture assez complexe et il n\'y a pas de manuel pour ça. Il y a éventuellement des discussions communes à avoir, mais il n\'y a pas de manuel.
Pouvoir être capable de dénoncer son Église
[Stéphane] Je ressens aussi le même tiraillement. Je suis membre d\'une Église qui carbure à la justice sociale, des combattants de justice sociale qui dénoncent les riches, dénoncent les puissants. Mais quand c\'est notre Église qui semble mal agir ou que j\'ai l\'impression que les priorités ne sont pas à la bonne place, qu\'est-ce que je fais?
L\'Église Unie est en période de décroissance administrative. Il y a moins d\'employés, il y a moins de dossiers abordés.
Il y a des gens qui ne sont pas d\'accord parce qu\'ils croient que tel sujet devrait être plus prioritaire qu\'un autre sujet. Est-ce qu\'on peut critiquer les choix? Et qui critique-t-on? Est-ce que c\'est l\'Église? Est-ce que ce sont les personnes?
Je pense qu\'il y a une façon de bien identifier les choses. Je n\'aime pas la décision que mon Église a prise, ça ne veut pas dire que je n\'aime pas mon Église, mais telle décision ou telle personne a fait tel choix et je suis en désaccord.
Un autre exemple, lorsque le projet de loi sur l\'aide médicale à mourir au Canada, l\'Église Unie a écrit un mémoire. Moi, je ne l\'ai pas apprécié, ce mémoire-là; non pas parce qu\'il était mauvais, mais je trouvais qu’il ne soulevait peut-être pas les bonnes questions.
Ce qui m\'a déçu, c\'est que nous sommes une Église. Donc, je pensais que les questions sur qu\'est-ce que la vie, qu\'est-ce que la mort, qu\'est-ce que la vie au-delà de la mort, ça, en tant qu\'Église, on a quelque chose à contribuer d\'assez unique. Ça n\'a pas été fait.
J\'ai manifesté ce désaccord-là avec certaines personnes. Je ne suis pas monté sur la place publique, déchiré ma chemise et dire que l\'Église était conne. Mais je pense que j\'ai trouvé moyen d\'expliquer d\'où venait mon désaccord.
Je ne pense pas que j\'ai manqué de loyauté en disant : « Je pense que vous avez, de mon point de vue, manqué votre cible ».
Le cas de Protestinfo
[Joan] Manquer sa cible, ça nous arrive assez souvent en Église. Et là, ces derniers temps, en Suisse romande, les Églises réformées romandes ont été un peu placées sous les feux des projecteurs, puisque ce qu\'on appelait avant la conférence des Églises romandes, qui vient de changer de nom, finance normalement une agence de presse, qui s\'appelait à ce moment-là Protestinfo.
C\'est intéressant parce que c\'est beau que depuis 25 ans des Églises aient une agence de presse. Une agence de presse, ça signifie qu\'on fait des articles sur des sujets, puis qu\'après on peut les vendre à des journaux cantonaux, à différents titres qui existent déjà, Le Temps, 24 Heures et plein d\'autres.
C\'est beau comme idée, comme philosophie, c\'est ambitieux aussi. Ça veut dire que ce sont des articles qui doivent pouvoir intéresser le grand public. Donc forcément des articles dans lesquels il peut y avoir un regard critique, des questionnements.
Comment se joue la loyauté envers l\'Église dans ces cas-là ? C\'est un petit peu de tout ça dont les gros titres ont beaucoup parlé ces derniers temps, parce qu\'évidemment, dans le milieu de la presse, quand on licencie deux journalistes, les deux journalistes responsables de cette agence de presse, les collègues se demandent pourquoi. Il y a ces questions de liberté de la presse.
Et d\'un autre côté, il y a la question de la loyauté à l\'Église. Est-ce que quand on est financé par l\'Église, on peut faire les enquêtes, les investigations de la même façon que quand on est indépendant par rapport à cette Église?
Est-ce qu\'on peut faire le métier de journaliste de la même façon ou pas, sachant qu\'il y a cette loyauté implicite et sachant aussi que c\'est un petit milieu. Quand on va interroger A qui connaît B et qui est marié à C, (puis, je plaisante,) mais qui est peut-être divorcé de D, ce sont des investigations à haut risque.
Alors, c\'est vrai que ça nous a posé collectivement un peu toutes ces questions-là, celle de la loyauté à l\'employeur ou au financeur, mais aussi de la loyauté à la liberté de la presse, de comment poser les questions, et puis cette notion de confiance qui rejoint la notion de la loyauté en fait.
Il y a loyauté quand il y a confiance, et il y a confiance quand il y a loyauté aussi. À certains moments, on s\'est posé tellement de questions mutuellement.
Là je reviens à ma métaphore avec l\'amour, même dans un couple, parfois on allait tellement loin dans l\'interrogation mutuelle, dans la remise en question mutuelle, qu\'il n\'y avait plus beaucoup de charme, plus beaucoup de séduction, plus beaucoup de mystère aussi.
Je suis allé peut-être assez loin dans ma métaphore, mais c\'est vrai que ça m\'a fait réfléchir à tout ça, ces événements autour de Protestinfo.
Le fait quand même qu\'on ait été largement, d\'un seul coup, visibilisés pour ce qu\'on aurait fait de mal, c\'est-à-dire licenciés des journalistes. D\'un seul coup, on avait une grande couverture médiatique autour de quelque chose qui était mal perçu.
La loyauté sur les médias sociaux
[Stéphane] Chez les francophones, en Amérique du Nord, il n\'y a plus de médias religieux, ou il y en a quelques-uns, mais c\'est assez anecdotique. L\'Église Unie a une revue anglophone qui a une ligne éditoriale complètement indépendante, jusqu\'au point où on a très peu de nouvelles sur notre Église. Ça amène à un autre genre d’enjeux.
Mais je pourrais faire un lien, par exemple, avec ce qui se passe sur les médias sociaux. Lorsqu\'on a un compte sur peu importe lequel des médias sociaux et qu\'on est identifié comme un membre de l\'Église, jusqu\'où peut-on aller? Où doit-on s’arrêter?
Dans le passé, il y a très longtemps, j\'avais un compte sur Twitter, lorsque Twitter n\'était pas un dépotoir à ciel ouvert.
J\'avais eu une mauvaise journée professionnellement, comme tout le monde qui nous écoute ont de mauvaises journées professionnellement, je suis sûr, et j\'avais juste écrit un petit truc, aucun détail, genre, j\'ai rencontré quelqu\'un, ça n\'a pas bien fonctionné, c\'est vraiment désagréable, mais bon, demain il sera mieux.
Et là, le conseil de paroisse s\'en est mêlé. Ça ne donnait pas de belles images. Ce que j\'ai décidé, c\'est d\'effacer toute référence à mon employeur sur mes médias sociaux. Je lui ai dit, je suis pasteur protestant, c\'est tout.
J’ai essayé de dire, ben, ça, c\'est ma marque, c\'est qui je suis, c\'est ma saveur, et vous ne me payez pas suffisamment pour acheter ça. C\'est correct, vous ne voulez pas être associés, mais je ne vais pas me censurer.
Je ne pensais pas que je dénigrais l\'Église. Je parlais de moi. J\'ai eu une mauvaise journée, j\'ai rencontré quelqu\'un, ça n\'a pas fonctionné. C\'est tout.
Mais il y a certaines personnes qui n\'acceptent pas la critique, qui ont peur que s\'il y a peut-être une critique, les gens vont utiliser ça contre nous au lieu de dire, ben, c\'est juste une information, telle personne a fait telle chose, c\'est un fait.
Si je commence à dire, par exemple, telle personne, c\'est un con, OK, là, c’est autre chose. Mais si je donne juste l\'information, comme un journaliste peut juste donner de l\'information, je ne pense pas qu\'il y ait un problème de loyauté, de mon point de vue.
Être loyal au message de Jésus
[Joan] Les réseaux sociaux, c\'est complexe parce que si on n\'y était pas du tout, ce serait un vrai problème. Si on n\'y est qu’institutionnellement, ça n\'intéresse absolument personne. Moi, je me suis abonnée à la chaîne WhatsApp de l\'Église Réformée Évangélique du canton de Vaud et je regarde ce qui s\'y passe. C\'est quand même assez intéressant.
Par exemple, là, pendant le synode, on avait des petits résumés des échanges. Le compte rendu, le PV ne sera pas visible avant quelques jours, ce qui est normal. Les secrétaires ont d\'autres choses à faire aussi. Donc, c\'est sympa parce que tu te tiens un petit peu informé de ce qu\'il est possible de communiquer immédiatement.
Je ne sais pas combien on est, mais une fois de temps en autre, il y a quelqu\'un qui met un like, c\'est beaucoup, pour une Église qui couvre tout un canton. Alors que moi, je suis une simple pasteure, en plus encore suffragante.
Et si je mets quelques infos, j\'étais au salon du mariage et tout, j\'ai plein de likes parce que les gens savent que c\'est Joan qui fait son info. Tu vis des trucs, ça fait rigoler les gens, une pasteure qui partage les blagues de ses ados à la maison.
Tout de suite, c\'est plus personnel et moi je réponds aux gens à titre personnel quand ils posent des questions et ça permet après plein, plein, plein, plein, plein d\'échanges personnels, comme tu le sais très bien. Et c\'est ça souvent qui est sous-estimé finalement.
En surface, on peut avoir l\'air un petit peu ricaneur ou un petit peu déloyaux parce qu\'on fait des petites remarques sur telle ou telle décision. Mais en fait, on sert énormément, mais dans un aspect qu\'on ne voit pas, un aspect caché, en message personnel, en mail, en suivi de gens.
On est là sur les réseaux sociaux tel qu’on est, avec nos aspérités. Les gens se reconnaissent dans ces aspérités, et c\'est en ça qu\'on est loyaux au message de Jésus. C\'est-à-dire qu\'on est nous-mêmes en pleine humanité.
C\'est vrai que ce n\'est pas une communication institutionnelle, c\'est une communication avec plus d\'aspérité, avec plus de surface, avec des angles morts, avec parfois des trucs contradictoires, mais ça permet aux gens de se relier à nous et puis de nous écrire et de créer des liens.
C\'est ça qui me semble un petit peu échapper à celles et ceux qui viennent se brancher sur notre présence sur les réseaux sociaux ou bien dans le podcast ou bien pour des articles. Les gens sont comme nous et nous sommes comme les gens; c\'est ça qui fait la beauté de cette visibilité en tant que ministre du culte.
Contrôler le message au nom de la loyauté
[Stéphane] Je pense qu\'il y a un problème lorsqu\'une institution comme une Église, ou plein d\'autres, comme un gouvernement, une grande compagnie, tentent de contrôler ce qui se passe au nom de la loyauté. Je pense que c\'est toujours un mauvais signe.
Je pense que c\'est un symptôme de quelque chose qui cloche quelque part, lorsqu\'au nom de la loyauté on veut contrôler le message, ça tue l\'initiative, la pensée divergente, l\'innovation.
Les personnes capables de pensée divergente sont capables de dire « ça c\'est bien », mais si on regarde 15 degrés plus à gauche, on va peut-être voir quelque chose d\'aussi bon ou quelque chose de mieux qu\'on n\'a jamais vu avant.
C\'est là qu\'il y a un problème lorsqu\'on essaie de contrôler. Je comprends que c\'est une danse un peu difficile. Jusqu\'où aller? Tout ne devrait pas être permis, je comprends ça.
Mais comment trouver le juste équilibre pour que les gens puissent dire ce qu\'ils, elles ou iels pensent, être honnête, suggérer de nouvelles choses, critiquer des choses qui ne devraient pas arriver parce que l\'institution est faite d\'êtres humains et que ce n\'est pas parfait.
Je pense que c\'est là où le bât blesse. Lorsque l\'institution essaie de se protéger, essaye de contrôler le message, ce n\'est jamais bon.
Importance de suivre son appel
[Joan] Ça fait presque la quatrième Église dans laquelle je sers. J\'y réfléchissais parce que quand je travaillais pour la mission à Madagascar, mon salaire et puis un certain nombre de mes droits ou bien de mes références étaient plutôt du côté de l\'Église protestante unie de France. C\'est marrant, parce que je n\'ai jamais été agrégée à leur corps pastoral, mais bon, à ce moment-là, ils avaient fait ça pour simplifier un peu l\'administratif.
Après, j\'ai fait mes différents stages de pasteur dans l\'Union des Églises Protestantes d\'Alsace-et-Lorraine, et j\'y ai servi aussi bénévolement au sein de l\'Antenne inclusive.
Ensuite, je suis partie comme diacre à Zurich, parce que c\'est ce que cherchait cette communauté. Ils avaient déjà un pasteur, ils cherchaient une diacre. Donc moi, je me suis faite au besoin de cette communauté et en plus à un tout autre système, en milieu germanophone, mais je servais en francophonie.
Et là, maintenant, je suis dans l\'Église Réformée Évangélique du canton de Vaud.
Alors, est-ce que j\'ai été déloyale à ma paroisse d\'origine, qui était la paroisse fondée par Calvin à Strasbourg, mais ensuite vraiment à la confession dans laquelle je me suis sentie à l\'aise, c\'est-à-dire le luthéranisme alsacien? Est-ce que je suis déloyale à tout ça?
En fait, non, parce que j\'estime que j\'ai été loyale à chacune de mes missions dans ces Églises.
En tout premier lieu, j\'étais loyale à ma vocation de servir l\'Église du Christ. J\'ai reçu vraiment cet appel à servir l\'Église du Christ.
Je n\'ai pas reçu un appel à m\'installer dans un lieu géographique, ce que je respecte tout à fait et qui est tout à fait possible aussi. Je n\'ai pas reçu un appel à n\'être que dans une sphère linguistique. Je suis carrément allée chez les germanophones, attention.
J\'ai reçu un appel et c\'est à cet appel que je suis loyale. Et, comme je suis loyale à cet appel, après je m\'inscris bien sûr dans le règlement ecclésiastique, dans ce qu\'on attend de moi, et ce que je comprends aussi qu\'on attend de moi.
Je me dis finalement : j\'ai l\'impression que sous bien des aspects, Jésus a été assez déloyal, il a été très divergent par rapport aux attentes que pouvait avoir sa mère envers lui, que pouvait avoir la société envers lui.
En quelque sorte, il a quitté le judaïsme. Il y a des avis un peu divergents ou même des avis divers sur cette question, quel était son lien au judaïsme? Est-ce qu\'il est resté juif tout en étant le Messie, en incarnant le Christ? Tout ça, ce sont des discussions qui sont en cours et que je trouve passionnantes. Je ne suis pas très forte en christologie, donc j\'accepte mes lacunes.
Je me dis : l\'exemple que m\'a donné ou que nous a donné Jésus, c\'est de quelqu\'un qui garde une grande liberté intérieure, mais qui est vraiment loyal à ce à quoi il est appelé, c\'est-à-dire marcher, aller avec sa petite bande, créer cet esprit de communauté et proposer une autre façon de fonctionner que d\'une façon méga hyper patriarcale, méga hyper coutumière.
C\'est quelqu\'un qui n\'a pas grand-chose à faire des coutumes et qui propose à chacun de cultiver cette liberté intérieure. Et je suis loyale à ça. Je suis loyale là où est mon cœur, là est mon trésor, cette liberté des enfants de Dieu.
Je trouve que ce n\'est pas toujours facile à expliquer, parce que tout un chacun voudrait que nous autres, les ministres, nous soyons facilement lisibles. Voilà, tu es pasteur réformé à tel endroit.
Hier, j\'étais au salon du mariage, j\'y étais pendant deux jours, et je disais aux gens, voilà, bonjour, je suis pasteure réformé, et les gens étaient tout contents.
Par contre, chaque fois qu\'il y avait de nouveaux bénévoles qui venaient sur le stand, et que je leur disais, voilà, bonjour, je suis pasteure réformé, je m\'appelle Joan, ils me disaient : « vous êtes pasteur où ? »
« Je suis pasteur dans le canton de Vaud. » « Mais où est votre paroisse? » « Ah, ma paroisse... Je n\'ai pas de paroisse. » « Ah bon ? » « Ben non, j\'ai des mandats, j\'ai des mandats à différents endroits. Tout le canton de Vaud est ma paroisse. » Je voyais que ça les déstabilisait beaucoup.
C\'est un peu normal parce que pendant longtemps, les pasteurs étaient plus lisibles que maintenant. Maintenant on est probablement, à l\'instar de toute la société, un peu plus fragmenté, un peu plus liquide et j\'espère surtout libre dans notre vocation.
Comprendre les motivations derrière les messages
[Stéphane] Tu touches un tellement bon point dans le sens où on a tendance à imposer notre modèle aux autres. Moi, je considère que la loyauté est A-B-C. Donc, si tu ne fittes pas là-dedans, tu n\'es pas loyal. Mais c\'est beaucoup plus compliqué que ça, comme tu l’as dit. Tu étais loyale à ton appel, tu as été loyale à Dieu, tu étais loyale à l\'Église universelle.
Donc, toi, tu as suivi ce sens-là, mais les gens parfois, malheureusement, ont de la difficulté à accepter ça. Je veux que tu sois loyal selon mes règles, selon mes définitions. Il y a toujours de l\'interprétation là-dedans.
Et je pense que c\'est ça le grand défi. C\'est le grand défi de l\'humanité, pourrais-je dire, d\'essayer de voir le point de vue de l\'autre et de comprendre ce qui le motive et d\'essayer de voir ce qu\'il y a derrière tel commentaire, tel article, telle prise de parole.
Est-ce que la personne prend la défense des pauvres et des personnes négligées de sa communauté? Elle est loyale à sa communauté, mais peut-être que c\'est en porte-à-faux avec la position officielle de l\'Église nationale ou cantonale ou peu importe, mais il y a une loyauté à sa communauté.
On ne peut pas dire vraiment que c\'est n\'importe quoi. Peut-être qu\'on aurait aimé que ce soit différent, mais on peut quand même reconnaître que ces personnes-là ont pris position pour la communauté.
Donc, je pense que c\'est ça le grand défi dans des institutions, comme les Églises qui ont eu tendance à penser qu\'elles parlaient au nom de la société, au nom du peuple, au nom de tout le monde. Si l\'Église dit telle chose, c\'est la vérité pour tout le monde.
Je pense qu\'il y a un travail des Églises à faire, des gens dans les Églises, de la hiérarchie jusque dans les bancs d\'Église, de dire : ça, c\'est notre opposition, c\'est notre vérité, ce n\'est pas la vérité pour tout le monde; de mieux gérer ces questions-là lorsqu\'il y a des points de friction, lorsque c\'est plus complexe, et de vivre dans cette tension-là au niveau de la loyauté.
Conclusion
[Joan] À la fin de cet épisode, je me rends compte qu\'en fait, on peut avoir plusieurs conceptions de la loyauté et que certaines sont complémentaires, d\'autres, par contre, peuvent sembler opposées.
Alors je me demande pour nos auditeur et auditrices, c\'est quoi la loyauté ? Est-ce que vous avez déjà senti un conflit de loyauté par rapport à, par exemple, votre religion ou bien votre Église d\'origine ou bien d\'autres éléments de votre vie, vos lectures de la Bible qui ont peut-être évolué, mais est-ce que du coup, vous vous êtes sentie déloyaux, déloyale ?
Est-ce que vous voulez nous partager ça et est-ce que ça nous donnerait l\'occasion d\'avoir un temps d\'échange avec vous ?
Quelque chose à laquelle on aimerait que vous demeuriez loyal, c\'est l\'écoute de notre podcast! Écrivez-nous. On a des gens qui nous écrivent, qui nous posent des questions, mais aussi qui nous partagent des choses. Ça nous fait toujours plaisir. Contactez-nous, [email protected].
Peu importe la plateforme que vous écoutez, laissez un commentaire, un message, un pouce en l\'air. C\'est toujours bon pour le référencement.
On remercie aussi l\'Église Unie du Canada qui est notre commanditaire, elle nous permet de diffuser ce podcast sur plusieurs plateformes ainsi que reforme.net qui relaie notre podcast. Alors, Joan, on se reparle bientôt. À tout bientôt, je serai loyal à notre rendez-vous. Merci, au revoir. Au revoir.
La loyauté que nous ressentons envers notre Église doit-elle être plus importante que la liberté d’expression ou l’accomplissement spirituel? Et qui décide si une personne est loyale ou non?
Dans cet épisode Joan et Stéphane abordent la récente situation à Protesinfo, explorent la question de loyauté sur les médias sociaux et se questionnent sur les façons appropriées de critiquer la hiérarchie de son Église.
Bonjour, bienvenue à Question de croire, un podcast qui aborde la foi et la spiritualité, une question à la fois. Cette semaine, doit-on être loyal à son Église? Bonjour Stéphane. Bonjour, Joan, bonjour à toutes les personnes qui nous écoutent.
Peut-on visiter les autres Églises tout en demeurant loyal?
[Joan] J\'ai une petite anecdote sur cette histoire de la loyauté. Quand j\'étais jeune étudiante en théologie à Strasbourg, je me suis rendue dans une communauté, une communauté réformée.
Il y avait là un certain nombre de personnes investies à plusieurs niveaux de l\'Église.
Et moi, j\'étais à ce moment-là un petit peu comme quand on a 19-20 ans où on s\'intéresse aux autres Églises. On s\'en va voir à droite, à gauche, et j\'avais découvert un peu les Églises pentecôtistes. Il y avait des aspects que je trouvais intéressants dans ces églises, notamment la louange, le groupe de jeunes et tout.
Un peu innocemment, je commence à parler avec des personnes bien plus âgées que moi, tout à fait réformées, de mes petites découvertes dans les assemblées pentecôtistes, et l\'une de ces personnes me coupe et me dit « nous on est des réformées, on n\'a rien à voir, rien à faire avec les pentecôtistes ».
Alors ça, c\'était il y a 25 ans. Je lui ai dit : « quand même, on n\'a rien à faire, rien à voir? Ce sont des protestants comme nous! » « bof, pas vraiment, reste loyal à ton Église » m\'a-t-on dit.
Ça m\'a fait réfléchir un petit peu sur ce qu\'est la loyauté. Est-ce qu\'on va visiter les autres ou pas? Est-ce que s\'intéresser au culte des autres, c\'est être déloyal?
Il y a quelques années, j\'ai remarqué qu\'un certain nombre de ces personnes qui avaient pris aussi des années, et puis d\'autres qui n\'étaient pas les mêmes, mais qui étaient un petit peu des mêmes milieux s\'intéressaient très fortement dans des articles, dans des interviews, dans différentes émissions protestantes, à l\'essor des pentecôtistes.
Je vois sur Facebook une publication officielle d’une délégation des Églises luthéro-réformées qui était allée visiter je ne sais quelle grande Église pentecôtisante du côté de Paris. Ils avaient trouvé ça formidable et très intéressant.
Et, semblerait-il, ils allaient apprendre plein de choses de leurs expériences, parce que c\'était des assemblées très mélangées, avec tous les âges, et très très vivantes.
C\'est intéressant parce que finalement, qu\'est-ce que la loyauté là-dedans? Quelle est la différence entre ce que moi j\'ai fait il y a 25 ans comme étudiante et ce qui se fait là maintenant?
Et moi je ne l\'avais pas fait de façon intéressée ; ce n\'était pas parce que mes propres assemblées commençaient à s\'amenuiser, c\'était vraiment par curiosité.
Donc voilà, qu\'est-ce que la loyauté et qu\'est-ce qu\'on a en nous comme conflit d\'intérêts parfois, quand on s\'intéresse aux autres, quand on parle des autres, quand on va vers les autres?
Être loyal à quelle Église?
[Stéphane] Comme je l\'ai répété souvent, j\'ai grandi Catholique Romain et au début de ma vingtaine, j\'ai découvert l\'Église Unie du Canada et j\'ai transféré vers le protestantisme.
Et oui, il y avait chez certaines personnes un peu cette idée que j\'avais trahi ou délaissé, un peu comme on délaisse sa mère, son père, sa famille.
Ça n\'a pas été : « Ah, tu as trouvé la place que tu recherchais, on va célébrer ça ». Non, c\'est « On a perdu quelqu\'un ». Comme s\'il fallait que je demeure loyal, même si je me sentais inconfortable et pas satisfait dans une institution.
Mais en même temps, lorsqu\'on regarde l\'histoire de l\'Église, il y a toujours eu des personnes qui ont provoqué des choses, qui ont remis des choses en question.
En tant que protestant, est-ce que Martin Luther a été loyal à son Église? Certains diront non. Mais de quelle Église parle-t-on? Est-ce qu\'on parle de l\'Église Catholique romaine? Est-ce qu\'on parle de l\'Église de Dieu sur terre?
Je comprends que c\'est compliqué, je comprends que parfois il y a des notions qui amènent beaucoup d\'émotivité.
Lorsque quelqu\'un va un peu à l\'encontre de l\'ordre établi ou de ce à quoi on s\'attend, on a l\'impression que cette personne-là n\'est pas loyale, mais encore une fois, est-ce une question de loyauté ou est-ce qu\'une question de vouloir que la personne soit heureuse, se développe, trouve la place où elle devrait être?
La loyauté implique de prendre l’autre au sérieux
[Joan] C\'est vrai qu\'à titre personnel, je relie un peu la question de la loyauté à celle de l\'amour. C\'est ce que je dis souvent, parce que moi je suis quelqu\'un d\'assez... enfin objectif je n’en sais rien, mais j\'aime bien que les choses soient bien faites.
Ça m\'a amené parfois à être critique envers moi-même, envers ce qui se fait, ce qui se dit. En fait c\'est parce que pour moi aimer, c\'est prendre l\'autre au sérieux.
Prendre l’autre au sérieux, c\'est lui dire, écoute, sincèrement, ce que tu as dit, ce que tu as fait là, je ne m\'y retrouve pas. Est-ce qu\'on peut en discuter? Ou, parfois, poser des limites. Parce que c\'est un amour véritable, un amour qui n\'est pas dans le faux semblant.
Mais aussi, aimer l\'autre, c\'est ne pas lui faire de mal. Et c\'est là que je comprends aussi qu\'être loyale, c\'est complexe, parce qu\'avec ma perspective, c\'est à la fois prendre l’autre au sérieux et ne pas lui faire de mal.
J\'aime dire les choses clairement, distinctement, poser mes questions, mais je ne voudrais pas nuire à mon Église. Et ça, c\'est très important, je ne voudrais pas nuire aux témoignages de l\'Évangile.
En même temps, comme j\'aime mon Église, je ne voudrais pas me taire quand les choses ne vont pas bien, que ce soit au niveau global, que ce soit au niveau local. Je trouve que c\'est un chemin difficile, c\'est une posture assez complexe et il n\'y a pas de manuel pour ça. Il y a éventuellement des discussions communes à avoir, mais il n\'y a pas de manuel.
Pouvoir être capable de dénoncer son Église
[Stéphane] Je ressens aussi le même tiraillement. Je suis membre d\'une Église qui carbure à la justice sociale, des combattants de justice sociale qui dénoncent les riches, dénoncent les puissants. Mais quand c\'est notre Église qui semble mal agir ou que j\'ai l\'impression que les priorités ne sont pas à la bonne place, qu\'est-ce que je fais?
L\'Église Unie est en période de décroissance administrative. Il y a moins d\'employés, il y a moins de dossiers abordés.
Il y a des gens qui ne sont pas d\'accord parce qu\'ils croient que tel sujet devrait être plus prioritaire qu\'un autre sujet. Est-ce qu\'on peut critiquer les choix? Et qui critique-t-on? Est-ce que c\'est l\'Église? Est-ce que ce sont les personnes?
Je pense qu\'il y a une façon de bien identifier les choses. Je n\'aime pas la décision que mon Église a prise, ça ne veut pas dire que je n\'aime pas mon Église, mais telle décision ou telle personne a fait tel choix et je suis en désaccord.
Un autre exemple, lorsque le projet de loi sur l\'aide médicale à mourir au Canada, l\'Église Unie a écrit un mémoire. Moi, je ne l\'ai pas apprécié, ce mémoire-là; non pas parce qu\'il était mauvais, mais je trouvais qu’il ne soulevait peut-être pas les bonnes questions.
Ce qui m\'a déçu, c\'est que nous sommes une Église. Donc, je pensais que les questions sur qu\'est-ce que la vie, qu\'est-ce que la mort, qu\'est-ce que la vie au-delà de la mort, ça, en tant qu\'Église, on a quelque chose à contribuer d\'assez unique. Ça n\'a pas été fait.
J\'ai manifesté ce désaccord-là avec certaines personnes. Je ne suis pas monté sur la place publique, déchiré ma chemise et dire que l\'Église était conne. Mais je pense que j\'ai trouvé moyen d\'expliquer d\'où venait mon désaccord.
Je ne pense pas que j\'ai manqué de loyauté en disant : « Je pense que vous avez, de mon point de vue, manqué votre cible ».
Le cas de Protestinfo
[Joan] Manquer sa cible, ça nous arrive assez souvent en Église. Et là, ces derniers temps, en Suisse romande, les Églises réformées romandes ont été un peu placées sous les feux des projecteurs, puisque ce qu\'on appelait avant la conférence des Églises romandes, qui vient de changer de nom, finance normalement une agence de presse, qui s\'appelait à ce moment-là Protestinfo.
C\'est intéressant parce que c\'est beau que depuis 25 ans des Églises aient une agence de presse. Une agence de presse, ça signifie qu\'on fait des articles sur des sujets, puis qu\'après on peut les vendre à des journaux cantonaux, à différents titres qui existent déjà, Le Temps, 24 Heures et plein d\'autres.
C\'est beau comme idée, comme philosophie, c\'est ambitieux aussi. Ça veut dire que ce sont des articles qui doivent pouvoir intéresser le grand public. Donc forcément des articles dans lesquels il peut y avoir un regard critique, des questionnements.
Comment se joue la loyauté envers l\'Église dans ces cas-là ? C\'est un petit peu de tout ça dont les gros titres ont beaucoup parlé ces derniers temps, parce qu\'évidemment, dans le milieu de la presse, quand on licencie deux journalistes, les deux journalistes responsables de cette agence de presse, les collègues se demandent pourquoi. Il y a ces questions de liberté de la presse.
Et d\'un autre côté, il y a la question de la loyauté à l\'Église. Est-ce que quand on est financé par l\'Église, on peut faire les enquêtes, les investigations de la même façon que quand on est indépendant par rapport à cette Église?
Est-ce qu\'on peut faire le métier de journaliste de la même façon ou pas, sachant qu\'il y a cette loyauté implicite et sachant aussi que c\'est un petit milieu. Quand on va interroger A qui connaît B et qui est marié à C, (puis, je plaisante,) mais qui est peut-être divorcé de D, ce sont des investigations à haut risque.
Alors, c\'est vrai que ça nous a posé collectivement un peu toutes ces questions-là, celle de la loyauté à l\'employeur ou au financeur, mais aussi de la loyauté à la liberté de la presse, de comment poser les questions, et puis cette notion de confiance qui rejoint la notion de la loyauté en fait.
Il y a loyauté quand il y a confiance, et il y a confiance quand il y a loyauté aussi. À certains moments, on s\'est posé tellement de questions mutuellement.
Là je reviens à ma métaphore avec l\'amour, même dans un couple, parfois on allait tellement loin dans l\'interrogation mutuelle, dans la remise en question mutuelle, qu\'il n\'y avait plus beaucoup de charme, plus beaucoup de séduction, plus beaucoup de mystère aussi.
Je suis allé peut-être assez loin dans ma métaphore, mais c\'est vrai que ça m\'a fait réfléchir à tout ça, ces événements autour de Protestinfo.
Le fait quand même qu\'on ait été largement, d\'un seul coup, visibilisés pour ce qu\'on aurait fait de mal, c\'est-à-dire licenciés des journalistes. D\'un seul coup, on avait une grande couverture médiatique autour de quelque chose qui était mal perçu.
La loyauté sur les médias sociaux
[Stéphane] Chez les francophones, en Amérique du Nord, il n\'y a plus de médias religieux, ou il y en a quelques-uns, mais c\'est assez anecdotique. L\'Église Unie a une revue anglophone qui a une ligne éditoriale complètement indépendante, jusqu\'au point où on a très peu de nouvelles sur notre Église. Ça amène à un autre genre d’enjeux.
Mais je pourrais faire un lien, par exemple, avec ce qui se passe sur les médias sociaux. Lorsqu\'on a un compte sur peu importe lequel des médias sociaux et qu\'on est identifié comme un membre de l\'Église, jusqu\'où peut-on aller? Où doit-on s’arrêter?
Dans le passé, il y a très longtemps, j\'avais un compte sur Twitter, lorsque Twitter n\'était pas un dépotoir à ciel ouvert.
J\'avais eu une mauvaise journée professionnellement, comme tout le monde qui nous écoute ont de mauvaises journées professionnellement, je suis sûr, et j\'avais juste écrit un petit truc, aucun détail, genre, j\'ai rencontré quelqu\'un, ça n\'a pas bien fonctionné, c\'est vraiment désagréable, mais bon, demain il sera mieux.
Et là, le conseil de paroisse s\'en est mêlé. Ça ne donnait pas de belles images. Ce que j\'ai décidé, c\'est d\'effacer toute référence à mon employeur sur mes médias sociaux. Je lui ai dit, je suis pasteur protestant, c\'est tout.
J’ai essayé de dire, ben, ça, c\'est ma marque, c\'est qui je suis, c\'est ma saveur, et vous ne me payez pas suffisamment pour acheter ça. C\'est correct, vous ne voulez pas être associés, mais je ne vais pas me censurer.
Je ne pensais pas que je dénigrais l\'Église. Je parlais de moi. J\'ai eu une mauvaise journée, j\'ai rencontré quelqu\'un, ça n\'a pas fonctionné. C\'est tout.
Mais il y a certaines personnes qui n\'acceptent pas la critique, qui ont peur que s\'il y a peut-être une critique, les gens vont utiliser ça contre nous au lieu de dire, ben, c\'est juste une information, telle personne a fait telle chose, c\'est un fait.
Si je commence à dire, par exemple, telle personne, c\'est un con, OK, là, c’est autre chose. Mais si je donne juste l\'information, comme un journaliste peut juste donner de l\'information, je ne pense pas qu\'il y ait un problème de loyauté, de mon point de vue.
Être loyal au message de Jésus
[Joan] Les réseaux sociaux, c\'est complexe parce que si on n\'y était pas du tout, ce serait un vrai problème. Si on n\'y est qu’institutionnellement, ça n\'intéresse absolument personne. Moi, je me suis abonnée à la chaîne WhatsApp de l\'Église Réformée Évangélique du canton de Vaud et je regarde ce qui s\'y passe. C\'est quand même assez intéressant.
Par exemple, là, pendant le synode, on avait des petits résumés des échanges. Le compte rendu, le PV ne sera pas visible avant quelques jours, ce qui est normal. Les secrétaires ont d\'autres choses à faire aussi. Donc, c\'est sympa parce que tu te tiens un petit peu informé de ce qu\'il est possible de communiquer immédiatement.
Je ne sais pas combien on est, mais une fois de temps en autre, il y a quelqu\'un qui met un like, c\'est beaucoup, pour une Église qui couvre tout un canton. Alors que moi, je suis une simple pasteure, en plus encore suffragante.
Et si je mets quelques infos, j\'étais au salon du mariage et tout, j\'ai plein de likes parce que les gens savent que c\'est Joan qui fait son info. Tu vis des trucs, ça fait rigoler les gens, une pasteure qui partage les blagues de ses ados à la maison.
Tout de suite, c\'est plus personnel et moi je réponds aux gens à titre personnel quand ils posent des questions et ça permet après plein, plein, plein, plein, plein d\'échanges personnels, comme tu le sais très bien. Et c\'est ça souvent qui est sous-estimé finalement.
En surface, on peut avoir l\'air un petit peu ricaneur ou un petit peu déloyaux parce qu\'on fait des petites remarques sur telle ou telle décision. Mais en fait, on sert énormément, mais dans un aspect qu\'on ne voit pas, un aspect caché, en message personnel, en mail, en suivi de gens.
On est là sur les réseaux sociaux tel qu’on est, avec nos aspérités. Les gens se reconnaissent dans ces aspérités, et c\'est en ça qu\'on est loyaux au message de Jésus. C\'est-à-dire qu\'on est nous-mêmes en pleine humanité.
C\'est vrai que ce n\'est pas une communication institutionnelle, c\'est une communication avec plus d\'aspérité, avec plus de surface, avec des angles morts, avec parfois des trucs contradictoires, mais ça permet aux gens de se relier à nous et puis de nous écrire et de créer des liens.
C\'est ça qui me semble un petit peu échapper à celles et ceux qui viennent se brancher sur notre présence sur les réseaux sociaux ou bien dans le podcast ou bien pour des articles. Les gens sont comme nous et nous sommes comme les gens; c\'est ça qui fait la beauté de cette visibilité en tant que ministre du culte.
Contrôler le message au nom de la loyauté
[Stéphane] Je pense qu\'il y a un problème lorsqu\'une institution comme une Église, ou plein d\'autres, comme un gouvernement, une grande compagnie, tentent de contrôler ce qui se passe au nom de la loyauté. Je pense que c\'est toujours un mauvais signe.
Je pense que c\'est un symptôme de quelque chose qui cloche quelque part, lorsqu\'au nom de la loyauté on veut contrôler le message, ça tue l\'initiative, la pensée divergente, l\'innovation.
Les personnes capables de pensée divergente sont capables de dire « ça c\'est bien », mais si on regarde 15 degrés plus à gauche, on va peut-être voir quelque chose d\'aussi bon ou quelque chose de mieux qu\'on n\'a jamais vu avant.
C\'est là qu\'il y a un problème lorsqu\'on essaie de contrôler. Je comprends que c\'est une danse un peu difficile. Jusqu\'où aller? Tout ne devrait pas être permis, je comprends ça.
Mais comment trouver le juste équilibre pour que les gens puissent dire ce qu\'ils, elles ou iels pensent, être honnête, suggérer de nouvelles choses, critiquer des choses qui ne devraient pas arriver parce que l\'institution est faite d\'êtres humains et que ce n\'est pas parfait.
Je pense que c\'est là où le bât blesse. Lorsque l\'institution essaie de se protéger, essaye de contrôler le message, ce n\'est jamais bon.
Importance de suivre son appel
[Joan] Ça fait presque la quatrième Église dans laquelle je sers. J\'y réfléchissais parce que quand je travaillais pour la mission à Madagascar, mon salaire et puis un certain nombre de mes droits ou bien de mes références étaient plutôt du côté de l\'Église protestante unie de France. C\'est marrant, parce que je n\'ai jamais été agrégée à leur corps pastoral, mais bon, à ce moment-là, ils avaient fait ça pour simplifier un peu l\'administratif.
Après, j\'ai fait mes différents stages de pasteur dans l\'Union des Églises Protestantes d\'Alsace-et-Lorraine, et j\'y ai servi aussi bénévolement au sein de l\'Antenne inclusive.
Ensuite, je suis partie comme diacre à Zurich, parce que c\'est ce que cherchait cette communauté. Ils avaient déjà un pasteur, ils cherchaient une diacre. Donc moi, je me suis faite au besoin de cette communauté et en plus à un tout autre système, en milieu germanophone, mais je servais en francophonie.
Et là, maintenant, je suis dans l\'Église Réformée Évangélique du canton de Vaud.
Alors, est-ce que j\'ai été déloyale à ma paroisse d\'origine, qui était la paroisse fondée par Calvin à Strasbourg, mais ensuite vraiment à la confession dans laquelle je me suis sentie à l\'aise, c\'est-à-dire le luthéranisme alsacien? Est-ce que je suis déloyale à tout ça?
En fait, non, parce que j\'estime que j\'ai été loyale à chacune de mes missions dans ces Églises.
En tout premier lieu, j\'étais loyale à ma vocation de servir l\'Église du Christ. J\'ai reçu vraiment cet appel à servir l\'Église du Christ.
Je n\'ai pas reçu un appel à m\'installer dans un lieu géographique, ce que je respecte tout à fait et qui est tout à fait possible aussi. Je n\'ai pas reçu un appel à n\'être que dans une sphère linguistique. Je suis carrément allée chez les germanophones, attention.
J\'ai reçu un appel et c\'est à cet appel que je suis loyale. Et, comme je suis loyale à cet appel, après je m\'inscris bien sûr dans le règlement ecclésiastique, dans ce qu\'on attend de moi, et ce que je comprends aussi qu\'on attend de moi.
Je me dis finalement : j\'ai l\'impression que sous bien des aspects, Jésus a été assez déloyal, il a été très divergent par rapport aux attentes que pouvait avoir sa mère envers lui, que pouvait avoir la société envers lui.
En quelque sorte, il a quitté le judaïsme. Il y a des avis un peu divergents ou même des avis divers sur cette question, quel était son lien au judaïsme? Est-ce qu\'il est resté juif tout en étant le Messie, en incarnant le Christ? Tout ça, ce sont des discussions qui sont en cours et que je trouve passionnantes. Je ne suis pas très forte en christologie, donc j\'accepte mes lacunes.
Je me dis : l\'exemple que m\'a donné ou que nous a donné Jésus, c\'est de quelqu\'un qui garde une grande liberté intérieure, mais qui est vraiment loyal à ce à quoi il est appelé, c\'est-à-dire marcher, aller avec sa petite bande, créer cet esprit de communauté et proposer une autre façon de fonctionner que d\'une façon méga hyper patriarcale, méga hyper coutumière.
C\'est quelqu\'un qui n\'a pas grand-chose à faire des coutumes et qui propose à chacun de cultiver cette liberté intérieure. Et je suis loyale à ça. Je suis loyale là où est mon cœur, là est mon trésor, cette liberté des enfants de Dieu.
Je trouve que ce n\'est pas toujours facile à expliquer, parce que tout un chacun voudrait que nous autres, les ministres, nous soyons facilement lisibles. Voilà, tu es pasteur réformé à tel endroit.
Hier, j\'étais au salon du mariage, j\'y étais pendant deux jours, et je disais aux gens, voilà, bonjour, je suis pasteure réformé, et les gens étaient tout contents.
Par contre, chaque fois qu\'il y avait de nouveaux bénévoles qui venaient sur le stand, et que je leur disais, voilà, bonjour, je suis pasteure réformé, je m\'appelle Joan, ils me disaient : « vous êtes pasteur où ? »
« Je suis pasteur dans le canton de Vaud. » « Mais où est votre paroisse? » « Ah, ma paroisse... Je n\'ai pas de paroisse. » « Ah bon ? » « Ben non, j\'ai des mandats, j\'ai des mandats à différents endroits. Tout le canton de Vaud est ma paroisse. » Je voyais que ça les déstabilisait beaucoup.
C\'est un peu normal parce que pendant longtemps, les pasteurs étaient plus lisibles que maintenant. Maintenant on est probablement, à l\'instar de toute la société, un peu plus fragmenté, un peu plus liquide et j\'espère surtout libre dans notre vocation.
Comprendre les motivations derrière les messages
[Stéphane] Tu touches un tellement bon point dans le sens où on a tendance à imposer notre modèle aux autres. Moi, je considère que la loyauté est A-B-C. Donc, si tu ne fittes pas là-dedans, tu n\'es pas loyal. Mais c\'est beaucoup plus compliqué que ça, comme tu l’as dit. Tu étais loyale à ton appel, tu as été loyale à Dieu, tu étais loyale à l\'Église universelle.
Donc, toi, tu as suivi ce sens-là, mais les gens parfois, malheureusement, ont de la difficulté à accepter ça. Je veux que tu sois loyal selon mes règles, selon mes définitions. Il y a toujours de l\'interprétation là-dedans.
Et je pense que c\'est ça le grand défi. C\'est le grand défi de l\'humanité, pourrais-je dire, d\'essayer de voir le point de vue de l\'autre et de comprendre ce qui le motive et d\'essayer de voir ce qu\'il y a derrière tel commentaire, tel article, telle prise de parole.
Est-ce que la personne prend la défense des pauvres et des personnes négligées de sa communauté? Elle est loyale à sa communauté, mais peut-être que c\'est en porte-à-faux avec la position officielle de l\'Église nationale ou cantonale ou peu importe, mais il y a une loyauté à sa communauté.
On ne peut pas dire vraiment que c\'est n\'importe quoi. Peut-être qu\'on aurait aimé que ce soit différent, mais on peut quand même reconnaître que ces personnes-là ont pris position pour la communauté.
Donc, je pense que c\'est ça le grand défi dans des institutions, comme les Églises qui ont eu tendance à penser qu\'elles parlaient au nom de la société, au nom du peuple, au nom de tout le monde. Si l\'Église dit telle chose, c\'est la vérité pour tout le monde.
Je pense qu\'il y a un travail des Églises à faire, des gens dans les Églises, de la hiérarchie jusque dans les bancs d\'Église, de dire : ça, c\'est notre opposition, c\'est notre vérité, ce n\'est pas la vérité pour tout le monde; de mieux gérer ces questions-là lorsqu\'il y a des points de friction, lorsque c\'est plus complexe, et de vivre dans cette tension-là au niveau de la loyauté.
Conclusion
[Joan] À la fin de cet épisode, je me rends compte qu\'en fait, on peut avoir plusieurs conceptions de la loyauté et que certaines sont complémentaires, d\'autres, par contre, peuvent sembler opposées.
Alors je me demande pour nos auditeur et auditrices, c\'est quoi la loyauté ? Est-ce que vous avez déjà senti un conflit de loyauté par rapport à, par exemple, votre religion ou bien votre Église d\'origine ou bien d\'autres éléments de votre vie, vos lectures de la Bible qui ont peut-être évolué, mais est-ce que du coup, vous vous êtes sentie déloyaux, déloyale ?
Est-ce que vous voulez nous partager ça et est-ce que ça nous donnerait l\'occasion d\'avoir un temps d\'échange avec vous ?
Quelque chose à laquelle on aimerait que vous demeuriez loyal, c\'est l\'écoute de notre podcast! Écrivez-nous. On a des gens qui nous écrivent, qui nous posent des questions, mais aussi qui nous partagent des choses. Ça nous fait toujours plaisir. Contactez-nous, [email protected].
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On remercie aussi l\'Église Unie du Canada qui est notre commanditaire, elle nous permet de diffuser ce podcast sur plusieurs plateformes ainsi que reforme.net qui relaie notre podcast. Alors, Joan, on se reparle bientôt. À tout bientôt, je serai loyal à notre rendez-vous. Merci, au revoir. Au revoir.

