Wed 29 Oct 2025
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Question de croire

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Question de croire


Qu’est-ce qu’un ennemi? Au-delà de notre appel à aimer nos ennemis selon l’Évangile, est-ce possible d’offrir cet amour sans exception? Comment pouvons-nous déterminer qui sont ces ennemis dans notre monde polarisé?
 
Dans cet épisode, Joan et Stéphane réfléchissent sur la notion d’ennemis et essaient de comprendre pourquoi nous réagissons si fortement envers certaines personnes.
 
 
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Bonjour, bienvenue à Question de croire, un podcast qui aborde la foi et la spiritualité, une question à la fois. Cette semaine, doit-on aimer tous nos ennemis?
Bonjour Stéphane. Bonjour Joan. Bonjour à toutes les personnes qui sont à l\'écoute.
 
Parfois nos ennemis sont plus proches que l’on croit
 
[Joan] J\'aime bien le fait qu\'on ose aborder cette thématique des ennemis et de l\'amour des ennemis, parce que je pense que c\'est vraiment une thématique un peu taboue, dans le sens où on est toujours capable de faire de grandes déclarations quand on prêche ou bien dans nos prières.
Et puis, il y a un peu concrètement, qu\'est-ce que ça veut dire dans notre vie? Et ça me fait penser à une petite anecdote.
J\'avais sur Facebook un de mes contacts, un pasteur, qui n\'est pas Suisse, qui vient d\'ailleurs, donc pas l\'un de mes collègues actuels, ni d\'ailleurs des années passées, avec qui régulièrement on débattait, on n\'était vraiment pas d\'accord sur la question de l\'égalité des droits pour le mariage.
Ça m\'a occupé un certain nombre d\'années, comme vous aurez fini, auditrice, auditeur, par le comprendre.
En fait, il en venait à être un petit peu obsessionnel à mon sujet, c\'est-à-dire qu\'il allait commenter partout, même sur des trucs qui ne concernaient pas le sujet. Il s\'intéressait un peu à tout ce que je faisais en annexe, par exemple professionnellement, en dehors de cette question.
Il aimait bien un petit peu me faire sentir qu\'il me surveillait. Puis je racontais ça à une copine qui m\'a dit : « Écoute, avec des ennemis comme ça, pas besoin d\'amis! Si tu n’es pas bien, tu fais un malaise, il sera mieux que tes amis où tu te trouves! »
 
L’obligation d’aimer nos ennemis
 
[Stéphane] C\'est vrai que c\'est un enjeu difficile. Même lorsqu\'on a discuté de ce thème-là, on a eu une conversation par messagerie parce que c\'était de bien définir la question. Parce qu\'au début, la question était « faut-il aimer tous nos ennemis? » Moi, j\'ai amené « Doit-on aimer tous nos ennemis? »
Et c\'était plus qu\'une question de jouer sur les mots, parce que pour moi, il faut... c\'est une invitation, c\'est un rêve, par exemple. Il faut que je perde 15 kilos. Bon, oui, ce serait bien, mais fort probablement, ça n\'arrivera pas.
Doit-on? Là, il y a une obligation. Là, il y a quelque chose de plus sérieux. On doit prendre telle médication lorsqu\'on est malade? Ben oui, là, il faut.
Cette question « doit-on », est-ce une obligation dans tous les cas? Parce que ça va, comme tu as dit, au-delà des bonnes intentions.
Jésus nous a dit qu\'il faut aimer nos ennemis. Oui, bon, c\'est bien. On entend ça le dimanche matin. Mais lorsqu\'on est justement confronté à cette réalité-là, ouf! Là, c\'est difficile et ça nous emmène dans des zones très inconfortables.
 
Nos ennemis sont-ils déterminés par nos relations?
 
[Joan] Il m\'est arrivé autre chose sur les médias sociaux, il y a aussi un paquet d\'années. Maintenant, je suis beaucoup moins sur Facebook. Enfin, je n\'y suis plus, pour ainsi dire.
Et puis Instagram, je fais comme tout le monde, je partage quelques photos, limite de chatons mignons. J\'ai eu ma période plus politisée. Là, maintenant, j\'ai une période plus pastorale, disons presque de rue, en tout cas de proximité. Et c\'est OK, il y a plusieurs saisons dans la vie.
Et un jour, j\'ai eu un désaccord super fort avec un ami Facebook, qui en plus était un peu un compagnon de lutte, un collègue, un pasteur, aussi pas en Suisse, puisqu\'à ce moment-là, je n\'exerçais pas en Suisse.
Et en fait, il avait affiché mon père, c\'est-à-dire qu\'il était allé regarder qui avait liké le profil de tel ou tel homme politique.
Et il se trouve que mon père, pour des raisons qui lui appartiennent, avait suivi je ne sais quel homme politique un peu controversé de ce moment-là, la grande famille gauchiste, et il avait fait une capture d\'écran, ce collègue, et il avait affiché mon père et d\'autres.
Il avait écrit « Les amis de mes amis sont-ils mes amis? Car là, ce sont mes ennemis. Du coup, si mon ami est ami avec mes ennemis, deviennent-ils mes amis ou mon ami devient-il un ennemi? »
Et là, ça pose plein de questions, c\'est-à-dire est-ce que mon amitié se base sur ce que toi tu aimes et tu préfères seulement, sur tes goûts, sur tes choix politiques ou de follower quelqu\'un sur des médias sociaux.
Ça pose des questions assez profondes. Sur quoi est-ce que je base mon amitié ?
Et du coup, sur quoi est-ce que je base mon inimitié aussi ? Et du coup, ça pose la question de qui est mon ennemi ? Et ça, ce sont des questions qu\'on n\'ose pas trop souvent se poser.
Et pourtant, c\'est des questions qui intéressent Jésus.
 
Les ennemis à l’époque de Charlie Kirk
 
[Stéphane] C\'est vrai que c\'est une bonne question. Qu\'est-ce qu\'un ennemi?
Tout le monde le sait (toi, moi, les gens de notre écoute), on vit dans un monde tellement polarisé. Tu es d\'accord avec moi, tu es mon ami. Tu as un désaccord avec moi, tu es un ennemi.
J\'ai l\'impression qu\'on jette ça un peu à la légère, dans le sens où on ne réfléchit pas avant de déclarer quelqu\'un notre ennemi, mais en même temps, c\'est très lourd de dire que cette personne est un ennemi.
On aborde ce sujet-là dans un moment très stressant en Amérique du Nord, probablement dans le reste du monde, parce qu\'aux États-Unis il y a eu l\'assassinat de Charlie Kirk il n\'y a pas si longtemps (au moment où ce qu\'on enregistre).
Et on voit là les appels de la classe politique à l\'élimination de l\'opposition. Les mots sont chargés, c\'est exacerbé.
Il y a quelques jours, un animateur de talk-show assez célèbre a perdu son émission, du jour au lendemain, à cause des pressions politiques, parce qu\'il avait fait un commentaire un peu limite, mais rien vraiment de très grave.
Et c\'est ça. Soit on rentre dans le rang, on est les bonnes personnes, si on ne rentre pas dans le rang, on est dans la case de l\'ennemi, on est dans ce qu\'il faut abolir, ce qu\'il faut éliminer, on n\'a aucune valeur intéressante.
C\'est très difficile et c\'est très stressant parce qu\'on peut décider de dire : « bon moi j\'y vais au minimum, je ne m\'exprime pas, en tout cas pas en public ».
Mais lorsqu\'on a un peu de courage, lorsqu\'on a un peu de conviction, lorsqu\'on veut changer les choses, on se met un peu la tête sur le billot, on ne sait jamais comment ça va revirer la décision d\'un, la décision de l\'autre.
Donc toute cette notion d\'ennemi est tellement chargée dans le monde dans lequel on vit aujourd\'hui.
 
L’importance d’être en désaccord de Paul Ricoeur
 
[Joan] Je pense aux modalités pour être de bons ennemis. J\'ai réfléchi à ça. Je me suis dit en fait, on nous enseigne souvent à être de bons amis depuis qu\'on est petit. Fais-toi des amis. Traite bien tes amis. Elle, c\'est ton amie. Lui, c\'est ton ami. On est de meilleurs amis. On parle des besties maintenant. Mais je me dis, il y a peut-être des modalités pour être de bons ennemis.
Puis, je me suis un peu tournée vers Paul Ricoeur. Alors voilà, Paul Ricoeur, je suis comme tout le monde. Moi, je lis des extraits, je lis des résumés, j\'écoute des podcasts. Je lis rarement ses bouquins de A à Z. Je rassure tout le monde. Ça reste une écriture fine, nuancée, et parfois on en a besoin.
Paul Ricoeur rappelle souvent, c\'est que dans la question du dialogue, il y a la question de l\'interprétation. Et souvent, nos conflits sont liés à des interprétations de textes, de symboles, de l\'autre.
C\'est pour ça qu\'il prend une distance, Ricoeur, en disant que ces conflits doivent être traités par l\'herméneutique, c\'est-à-dire justement par l\'interprétation, mais consciente, la médiation, la traduction, la compréhension. La meilleure façon d\'avoir de bons ennemis, d\'entretenir quand même de bons rapports avec ses ennemis, c\'est d\'éviter l\'imposition. L\'imposition en disant à l\'autre : « mais non, tu devrais penser ça ».
C\'est vrai que c\'est un petit peu quelque chose qui me frappe dans ces temps de polarisation, en ces temps où il y a un génocide qui est documenté en direct. Maintenant, l\'ONU a déclaré que quatre des cinq critères sont réunis pour déclarer un génocide. Je trouve que quand il y a des outils d\'analyse, c\'est important de les prendre en compte et de les respecter. Ce génocide est documenté en direct. Il y a d\'autres génocides en cours. Il y a le Soudan… On va faire la liste, on va être déprimés.
Celui-ci est documenté en direct, et on a l\'impression qu\'on peut agir nous aussi en direct, puisque finalement, c\'est documenté en direct. Mais en fait, non. En fait, on ne peut pas faire grand-chose.
Souvent les conflits nous échappent à nous en tant qu\'individus. Si le gouvernement de certains pays n\'a pas bougé avant, c\'est sûrement pour des raisons qui nous échappent aussi.
Et comme ce conflit est documenté en direct, on demande aux gens, on leur impose maintenant lorsqu\'il y a des tables rondes, lorsqu\'il y a des débats, de faire un statement, de faire une déclaration sur Gaza. Ça va tout à fait à l\'encontre de tout ce que nous offre Paul Ricoeur comme outil d\'analyse pour être des bons ennemis, pour être en désaccord.
Ce qu\'il propose, Ricoeur, c\'est de laisser une place à l\'autre, de le reconnaître comme un humain inhumain qui a peut-être tort et qui pense peut-être des choses qui ne sont pas correctes, mais qui a néanmoins le droit, lui aussi, de ne pas être réduit à une caricature.
Ce n\'est pas parce qu\'un tel ou une telle chef d\'orchestre je ne sais où ne fait pas une déclaration sur le génocide de Gaza, que c\'est foncièrement quelqu\'un de génocidaire. C\'est peut-être quelqu\'un qui est paumé, qui ne sait pas trop quoi dire, qui a peur pour sa famille ailleurs, pour des raisons politiques. On n\'a pas accès aux vies intérieures des gens, on n\'a pas les détails sur leur vie.
Et donc, quand on réduit l\'autre à une caricature, à un monstre, à une abstraction, comme certains l\'ont fait avec Kirk, certains ont dit que c\'était juste un horrible monstre. Là, c\'est pareil, on déshumanise et ce n\'est pas OK.
Et ce que nous dit Paul Ricoeur, c\'est qu\'il faut maintenir l\'idée qu\'il existe une part commune de dignité, de vulnérabilité.
Et un jour, j\'avais lu un texte trop beau sur trucs et astuces pour faire du dialogue interreligieux. Alors, il y avait des trucs sérieux. Il y en a un autre que je vais garder toute ma vie qui est « Portez les bébés des uns des autres ». Prenez dans les bras les bébés des uns des autres.
À partir du moment où tu as apporté le bébé de je ne sais qui, tel imam, tel rabbin, telle rabbine, tu n\'auras plus jamais le même rapport avec cette personne parce que tu auras apporté ce qu\'il ou elle a de plus précieux au monde et tu te seras émerveillé sur la création.
Et puis, Paul Ricoeur rappelle aussi que l\'ennemi d\'aujourd\'hui peut être l\'allié ou le voisin de demain. Et ça, c\'est une donnée qui, je trouve, est importante à garder dans notre vie parce que les autres changent et puis moi aussi.
Un jour, peut-être quelqu\'un avec qui je suis en profond désaccord maintenant et moi, on va être d\'un seul coup aligné sur une cause supérieure. Et c\'est important que je garde ça en tête.
 
La difficulté de dialoguer avec ses ennemis
 
[Stéphane] Sur l\'idée de porter le bébé, ça me fait penser... Lorsqu\'il y a eu les négociations entre l\'Irlande du Nord et la Grande-Bretagne pour essayer de trouver un cessez-de-feu, un des négociateurs est arrivé à la table, première rencontre, et la première chose qu\'il a faite, il a sorti les photos de ses petits-enfants.
Et c\'est la première chose qu\'il a faite, là. Il se présente, sort la photo de ses petits-enfants et commence à parler de ça.
Et là, la discussion est partie sur leurs petits-enfants. Ils ont comme créé un lien que non, on n\'est pas des monstres, on a des familles, on est des êtres humains, on peut se parler.
Et cet appel au dialogue, oui, c\'est très bon. Mais je rencontre un problème lorsque je suis confronté à des gens radicalisés.
Comment peut-on discuter avec quelqu\'un qui est convaincu qu\'il, elle ou iel a raison à 100%? Je pense à la pandémie. Il y a des gens qui affirmaient dur comme fer que les vaccins, c\'était pour injecter quelque chose dans notre sang, pour faire la promotion du G5. Il y a des gens qui croient dur comme fer que la terre est plate, et on peut présenter tous les faits à cette personne-là, non, il n\'y a rien qui va changer.
À la limite, lorsqu\'on a une conversation au café comme ça, bon, ce n\'est pas trop pire, mais comme tu as dit, devant des régimes fascistes, devant des situations radicalisation.
Oui, essayer de dialoguer, c\'est bien. C\'est encouragé. Mais qu\'est-ce qu\'on fait quand l\'autre ne veut pas vraiment dialoguer, veut imposer, comme tu as dit, sa vision, sa façon de faire? Là, ça devient difficile d\'aimer son ennemi.
 
Les ennemis comme miroir de notre personne
 
[Joan] Oui, c\'est vrai. Mais en même temps, pourquoi est-ce que c\'est si difficile d\'aimer son prochain comme ennemi? C\'est aussi parce que l\'ennemi, c\'est un peu mon miroir. C\'est un petit peu qui je suis quand je suis bornée, quand je ne veux pas écouter, quand j\'ai une idée à arrêter.
L\'ennemi, ça me renvoie aussi l\'image de moi-même qui ait des ennemis. C\'est hyper rare de ne pas avoir quelqu\'un qui est notre ennemi, même si on n\'est pas trop au courant.
Moi, je suis féministe, alors je sais que pas mal de gens que je ne connais pas n\'aiment pas ce que je représente. Puis je suis une femme pasteure, donc là aussi, j\'ai des ennemis. Je ne me suis même pas levée le matin qu\'il y a déjà des gens qui ne sont pas contents que j\'existe.
Et donc ça, je me dis, finalement, souvent, un adversaire, quelqu\'un avec qui on n\'est vraiment pas d\'accord nous renvoie à nos propres contradictions, à nos injustices, à nos fragilités.
Par exemple, moi, en tant que féministe, c\'est vrai que quand j\'entends des discours des trad wives, qui disent que pour respecter et la Bible et une construction saine de la société, c\'est important que les femmes restent à la maison pour s\'occuper de leurs enfants.
Dans un sens, c\'est vrai, elles ont un peu raison. Enfin, je veux dire, tout est tellement plus simple quand il y a des femmes qui s\'occupent de plein de choses. Pourquoi les Églises ont tourné si bien jusqu\'à maintenant et elles sont en chute libre maintenant? C\'est parce qu\'il y a beaucoup moins de femmes à la maison qui s\'occupent des autres.
Donc d\'un côté, oui, elles ont raison, les femmes. On est particulièrement bonnes pour le care, pour le tissage communautaire, pour donner du temps, pour prendre soin des uns, des unes, des autres.
Et donc d\'un côté, elles m\'énervent. Elles m\'énervent parce qu\'elles disent des trucs qui sont vrais. Mais ce n\'est pas parce qu\'elles disent des trucs qui sont vrais que ce qu\'elles proposent comme projet de société, je suis OK avec.
Qu\'est-ce que le conflit avec cet ennemi m\'apprend sur moi, sur ma communauté, sur mes valeurs et sur mes ambivalences, sur mes frustrations? C\'est aussi ça un peu l\'aimer. En fait, voilà. Pour moi, aimer mon ennemi, c\'est aussi avoir cette espèce de retour critique sur moi-même. Qu\'est-ce que l\'autre provoque en moi? Et qu\'est-ce que je peux apprendre de ça?
 
La parabole du Bon Samaritain
 
[Stéphane] C\'est vrai que ça peut être très confrontant lorsqu’une personne qu\'on n\'aime pas, qu\'on n\'ait à peu près rien en commun, semble défendre le même point de vue que nous.
Ça me fait un peu penser à la parabole du Samaritain, parce qu’il y a quelqu\'un qui est blessé. Une première personne passe, la deuxième personne passe, la troisième, celle qui fait la bonne chose, n\'est pas nécessairement l\'amie des Juifs, n\'est pas considérée nécessairement comme une bonne personne. Aujourd\'hui, on le traiterait d\'ennemi. Peut-être, à cette époque-là, c\'était ceux qu\'on n\'aime pas trop; qu\'on tolère. Et c\'est la personne qui fait la bonne chose, qui sauve la personne en danger.
Je pense que Jésus avait ce message. Oui, c\'est bien! Il faut aimer tout le monde, il y a le message de la Bible, tout le monde est écrit à l\'image de Dieu, oui, oui.
Mais je pense que Jésus amène aussi cette notion de « Hey, les amis, soyez attentifs parce que c\'est peut-être vos ennemis qui vont être plus proches du royaume que vous pensez. »
Il y a quelque chose de très provocateur là-dedans que j\'aime bien. Oui, on peut être d\'accord et en désaccord en même temps.
C\'est d\'essayer de faire la part des choses, de pas nécessairement mettre toute notre attention sur ce qu\'on n’aime pas, mais d\'essayer de voir ça, ce n\'est pas pour moi; ça a de la valeur, ou en tout cas, je m\'y retrouve.
 
Qu’est-ce qu’aimer une personne?
 
[Joan] Et finalement, on revient à cette idée d’aimer. Parce que là, les ennemis, on a un petit peu vu qui étaient nos bons ennemis, qui étaient nos ennemis tout court. Qu\'est-ce que les ennemis provoquent parfois en nous? Puis cette notion d\'aimer, ça recouvre quoi, aimer quelqu\'un?
Je sais bien que c\'est l\'affaire de toute une vie, de comprendre ce que c\'est qu\'aimer. Mais moi, il se trouve que dans ma définition d\'aimer quelqu\'un, il n\'y a pas être d\'accord avec la personne.
En fait, moi, je suis souvent en désaccord avec mon mari, je suis souvent en désaccord avec mes filles, je suis souvent en désaccord avec mes parents. D\'ailleurs, pour leur plus grand malheur, j\'ai remarqué que mes parents, souvent, c\'était les plus malheureux dans cette affaire. Je ne suis souvent pas d\'accord avec les gens, mais ça ne m\'empêche pas du tout de les aimer.
Et c\'est là que ça se complique, dans la société actuelle qu\'on est en train de ne pas réussir à éviter, c\'est qu\'on est trop polarisé. Donc quand tu n\'es pas d\'accord avec quelqu\'un, ça voudrait dire que tu ne l\'aimes pas. Et moi, c\'est tout à fait l\'inverse en fait.
Et j\'apprécie, des fois j\'en ai marre si on vient sur mon Facebook m\'allumer à longueur de journée en me disant que je dis n\'importe quoi. Bon, des fois j\'en ai un peu marre. Mais globalement, moi j\'apprécie d\'avoir des avis qui sont différents du mien.
 
La notion d’amour inconditionnel
 
[Stéphane] Très bonne question. Qu\'est-ce qu’aimer? Qu\'est-ce que ça veut dire?
J\'avais une paroissienne avant que notre fils rentre dans notre vie. C\'était imminent. Elle m\'a dit : « Tu vas voir Stéphane, ta compréhension de l\'amour inconditionnel de Dieu va changer quand tu auras ton enfant dans tes bras. » C\'est vrai, il y a un amour inconditionnel pour cet enfant.
Et j\'en parlais avec deux Français et j\'ai dit ça. Et là, ils ont eu une réaction épidermique. « Oh là là! Non, mais c\'est vrai! Non, tu ne peux pas dire ça! Tout n\'est pas permis! Il faut punir! Blablabla! » Malheureusement, ils ne m\'ont jamais laissé la place pour continuer à répondre.
Aimer, c\'est mettre des balises. Aimer, c\'est enseigner des limites, enseigner qu\'il y a des conséquences à nos gestes, à nos mots. Aimer, c\'est outiller une personne pour bien se conduire dans une société.
Et aimer inconditionnellement, c\'est de mettre des conséquences. Parfois, c\'est de punir, pas nécessairement pour être méchant, mais pour dire que c\'est dangereux et qu\'il ne faut pas que tu le fasses. S\'il faut qu\'il y ait une conséquence et que tu es privé de sortie, si c\'est ça que ça prend pour que tu apprennes, c\'est important.
À travers tout ça, ce n\'est pas parce que je, un peu comme tu disais, je me fritte un peu avec mon fils parce que, encore une fois, il a oublié son ordinateur à la maison, il faut que j\'aille prendre mon ordinateur, le reconduire à l\'école, puis ça fait trois fois cette semaine que c\'est arrivé, puis ça me tombe sur les nerfs.
Je ne l\'aime pas moins. Ça n’affecte pas cet amour que j\'ai pour mon fils. Je dis fils, mais il y a plein d\'autres exemples.
Donc, aimer, ce n\'est pas nécessairement un peu comme on a dit, être toujours d\'accord, que c\'est toujours gambader dans le champ, heureux, main dans la main. C\'est reconnaître qu\'il y a cet amour-là. Parfois, c\'est plus facile. Parfois, c\'est plus difficile.
Mais qu\'au-delà des gestes, au-delà des mots, il y a un lien fort qu\'on a réussi à développer et aimer son ennemi, c\'est peut-être aller au-delà du mot, peut-être aller au-delà du geste de reconnaître qu\'il y a quand même un être humain derrière ça.
 
Humaniser l’autre
 
[Joan] Moi, je comprends cette aimer nos ennemis comme humaniser les toujours et encore. C\'est vrai qu\'on dit toujours que pour aimer les autres, il faut s\'aimer soi-même. Ça, c\'est clair.
Et finalement, pour aimer les autres, il faut s\'humaniser soi-même. Alors, s\'humaniser les uns les autres. Puis ça rejoint un peu le Ubuntu est-africain, cette idée de je suis parce que tu es, je suis parce que tu es, ben c\'est ça.
En quelque sorte, on est ennemis sur des lignes idéologiques, mais on s\'aime en tant qu\'humain. C\'est très, très compliqué de différencier les deux.
Les évangéliques aiment beaucoup dire qu\'ils détestent le péché, mais pas le pécheur. Moi, ça ne me parle pas. Voilà, parce que détester d\'abord, c\'est trop fort. Je déteste par mes ennemis. Je crois que je n\'arriverai pas à dire ça pour beaucoup de personnes, puis même d\'une façon générale, je ne crois pas que j\'arriverai à le tenir sur la durée. C\'est un sentiment très fort, détester, qui prend beaucoup d\'énergie et je peux comprendre qu\'il puisse faire tenir debout des gens. Ce n\'est pas ce type d\'énergie dont j\'ai besoin, en tout cas pas dans ma situation de vie.
Et du coup, je me dis, aimer mes ennemis, c\'est aussi leur prêter ce bénéfice du doute qu\'ils ou elles ont quelque chose à m\'enseigner et qu\'avec il ou elle, un jour peut-être, j\'aurai quelque chose à vivre.
Laisser cette porte ouverte sur le futur, sur cette espérance de ce que notre relation pourrait devenir. Ça va même plus loin. C’est presque comme si je disais j\'aime notre relation pour ce qu\'elle peut devenir. Est-ce que Jésus serait d\'accord avec ça, Stéphane?
 
Le message radical de Jésus
 
[Stéphane] Je pense que Jésus nous appelle à quelque chose d\'assez radical. Souvent, on perçoit aimer son ennemi comme quelqu\'un qui ne veut pas faire d\'histoire, on est un peu une carpette, on se met à plat ventre, on ne veut pas faire de vague, on va aimer tout le monde.
Mais Jésus n\'était pas un monsieur gentil. Jésus était un provocateur. Il disait, aimer ses ennemis, ça commence par soi. Tu l\'as très bien dit tout au long de cet épisode.
Et ça prend une force incroyable, ça prend une conviction incroyable de dire, peu importe ce que tu vas faire, peu importe ce que tu vas dire, je vais t\'offrir de l\'amour quand même. Pas nécessairement parce que je suis obligé, pas parce que je suis naïf, parce que, comme on a dit, je reconnais que tu es un être humain. Je reconnais qu\'on est tous et toutes dans le même bateau, cette humanité collective.
D\'avoir cette force, ça peut être presque déconcertant… de pouvoir dire, oui, cette personne-là, je vais prier pour elle. Cette personne-là fait des choses horribles, mais je reconnais qu\'il y a peut-être une possibilité de changement. Je reconnais qu\'il y a peut-être une possibilité d\'illumination. Je reconnais que c\'est un être humain qui mérite quand même un minimum de dignité.
C\'est un message fort, c\'est un message presque à contre-courant, je pourrais dire. Surtout, comme on dit, dans le climat polarisé dans lequel on est. Peu importe qui est cette personne, je crois qu\'il y a une once de bonté quelque part.
Peut-être qu\'elle s\'est perdue. Peut-être que les circonstances font que je ne les vois pas. Mais il y a encore de l\'espoir dans cette personne-là.
Mais ça, ça vient de nous. Ce n\'est pas à l\'autre de nous convaincre. C\'est nous de croire que l\'être humain en face de nous, peu importe qu\'il y ait un potentiel de bonté dans cette personne-là, ça part de nous.
 
Conclusion
 
[Joan] Là, dis donc, tu es en train de nous faire un boulevard pour le prochain épisode, qui sera sur la thématique du pardon, parce que voilà, on est dans notre quatrième saison, donc on commence à faire des résonances d\'un épisode à l\'autre. Alors, merci beaucoup, Stéphane, d\'avoir fait cette introduction boulevard pour l\'épisode de la semaine prochaine.
[Stéphane] Merci, Joan, et on continue à travailler très fort pour être là, pour être pertinent pour vous. C\'est un peu pour nous, mais c\'est aussi pour vous.
Donc, si vous avez des questions, si vous voulez nous faire des suggestions, n\'hésitez pas, [email protected].
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