Tue 28 Mar 2023
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Mission encre noire

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Mission encre noire



Mission encre noire Tome 37 chapitre 406. Jour encore, nuit à nouveau par Tristan Saule paru en 2023 aux éditions Le Quartanier dans la collection Parallèle Noir. Loïc ne sort plus de chez lui. Il scrute la place carrée par la lunette de sa carabine tchèque de calibre. 22. L'oeil collé au viseur, il observe la France déconfinée en mai 2020. Cela fait un an que Loïc n’a pas mis un pied dehors. Il voit bien la grande esplanade depuis son troisième étage du bâtiment B. Il n’en peut plus de se savoir menacé par le virus, les vaccins, les femmes, l’usine de métallurgie qui l’emploie. Heureusement il y a encore Nini, sa sœur qui est DRH chez Lapeyre, le spécialiste en menuiserie, elle lui fait ses courses. Sans oublier, Elora Silva, un des rares lien avec l’extérieur qui lui reste. Avec peut-être aussi quelques séances avec l’atelier de théâtre du quartier auquel il s’est inscrit. Il y retrouve Zineb et son délicat visage cerné par son hijab qu'il aime tant. Il va peu à peu perdre pied, être licencier, se couper de ses proches, entendre des voix, celles des personnages beckettiens de la pièce de théâtre qu’il écrit pour l’atelier, Clic et Cloque. Alors, il promène sa lunette de fusil vers la place, elle pointe vers son avenir, il a les larmes aux yeux. Roman sur la solitude, l’isolement, la difficulté de vivre le confinement, ce nouveau chapitre des Chroniques de la place carrée évoque le moisissement intérieur d’un homme et d’un monde ébranlé par la pandémie. Ce regard paranoïaque et menaçant qui balaie la place carrée se révèle un portrait frontal d’une France malade, qui a perdu ses repères. Nous embarquons ce soir pour ce thriller psychologique hypnotique en compagnie de Tristan Saule qui est notre invité à Mission encre noire.
Extrait:« Il faudrait partager les souvenirs, a-t-il écrit. Si quelqu'un nous oublie, nous aussi, on devrait l'oublier. C'est injuste de se souvenir de quelqu'un qui ne pense plus à nous. Quelques jours après l'installation de SOS confinement, Loïc a ouvert le placard de la chambre, il en a sorti le fourreau, il a fait glisser la fermeture éclair du fourreau, il en a tiré la carabine, équipée de son bipied, qu'il a déplié avant de se poster devant la fenêtre. Par la lunette, il voyait mieux les traits harmonieux de Zineb, les fossettes qui se creusaient quand elle souriait, les mèches de cheveux fins noirs qui s'échappaient de son voile. Il aurait voulu démonter le viseur de la carabine mais il n'a pas retrouvé la petite clé Allen qui permet de desserrer la paire de colliers. Pépé lui avait dit que, de toute manière, une optique de visée, une fois que c'est installé et réglé, il valait mieux pas y toucher. Loic a laissé tomber. Il a déplacé devant la fenêtre une desserte à roulettes qui ne lui servait à rien d'autre qu'à jeter ses clés de voiture et toutes les babioles qui encombraient ses poches. Il a posé le bipied dessus, s'est assis sur l'accoudoir du canapé et, la crosse calée contre l'épaule, l'oeil devant la lunette et le doigt sur la détente, il s'est mis à observer. Je vise le monde, écrivait-il. J'ai mon avenir en ligne de mire.»
Un grondement féroce par Léa Arthemise paru en 2023 aux éditions Héliotrope. Il est possible pour certaines personnes, de se reconnaître un destin dans les taches d'encre d'un bureau, l'intérieur d'une paire de mains sèche, le vol accidenté d'un oiseau se fracassant dans une vitre. Serait-ce le cas de Mia Clark, la romancière , l'autrice du récent phénomène littéraire Un grondement féroce? C’est ce que présuppose la narratrice de ce roman au moment même où elle dérape sur une plaque de glace, à l’endroit précis où l’écrivaine disparaîtra, quelques années plus tard, un jour de juillet 2020 : le viaduc Rosemont-Van Horne. Ce nom est aussi, et surtout, celui de William Van Horne, futur directeur général du Canadien Pacifique. Un homme dont le destin de papier est narré par Mia Clark, précisément. Il nous faudra fouiller, ce passé, qui commence dans une école de Joliet, Illinois en 1856, pour espérer soulever les mystères qui recouvrent cette étrange disparition aujourd'hui. Le viaduc du Mile end, devient, malgré lui, un espace d’inspiration et d’intrigues dans un troisième roman qui nous invite à remonter le temps. J’accueille, ce soir à Mission encre noire, Léa Arthemise.
Extrait:« Tu dois te poser beaucoup de questions, William, c'est tout à fait légitime. Il me convient maintenant de préciser le cadre de l'entreprise dans laquelle je me suis lancée et la raison pour laquelle je m'adresse à toi: l'existence de Mia telle que je la perçois a été intrinsèquement liée à la tienne. Mia a disparu sur l'un des tronçons de chemin de fer appartenant à la compagnie que tu as dirigée pendant des années, à l'endroit où cette ligne est enjambée par le viaduc routier qui porte ton nom. Mia ma confié l'écriture de sa vie. De ton vivant, tu as confié l'écriture de la tienne à la journaliste Katherine Hugues. Et puis tu es mort. À Hugues ton fils a préféré un homme, Walter Vaughan. Dans la préface de son livre, vaughan indique qu'il te connaissait bien. Il précise que son récit de toi est «honnête et âcre ». Vaughan écrit également que tu t'insurgeais contre les biographies non autorisées, arguant qu'elles avaient été cuisinées et «édulcorées pour plaire». Cette citation est intéressante, car Vaughan s'en sert pour légitimer son propre travail. Il prévient ses lecteurs que contrairement aux biographies de tes contemporains, son récit de toi est authentique. Cette mention, brandie comme un drapeau, tend à défendre le contraire.»