Émission du 18 octobre 2022
Mission encre noire Tome 36 Chapitre 393. Candy par Benjamin Gagnon Chainey paru en 2022 aux éditions Héliotrope. Lorsque la nuit se drape de faux-semblants, Candy, drag queen, multiplie les numéros au cabaret Rocambole à Villecresnes. Dans sa loge, elle se prépare à la gloire, à danser et à chanter en pleine lumière. Thierry meurt un peu plus chaque nuit pour laisser éclore la glamoureuse étoile qui naît sous les yeux ébahis de la foule en délire. Et si le cabaret commence à bander, c’est pour son Mathurin qu’elle tremble. C’est pour lui qu’elle chante, c’est pour lui qu’elle va fuir ces bas-fonds. Mathurin et sa femme fatale vont se déguiser en courant d’air et mettre le cap sur le paradis en talons haut. Une ombre distordue les attend, cependant, au détour d’une rue. Une hideuse vieillarde, porteuse de malheur, qui ricane et toussote. Ils commettront leur premier meurtre. Déclarés coupables, les amants briseront pourtant leur chaîne et ils s’uniront pour le pire car l’enfer est pavé de bonnes intentions. Conte d’amour pour adultes et vacciné.e.s, cette cavale du tonnerre déroule son tapis rouge avec style et emphase, dans les plis duquel, il se pourrait, que l’éternelle Divine de Jean Genet se prenne les pieds. Candy, la vie contée d’une Notre-Dame-des-Fleurs enceinte d’un fruit d’amour impossible, devient un fascinant lieu de passages entre les identités, la réalité et la fantasmagorie. En route, donc, pour l’Eden. Faites gicler strass et paillettes, j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Benjamin Gagnon Chainey.
Extrait:« I want to wake up in the morning...With that dark brown taste...Je me lève de mon trône devant le train fissuré du miroir...Je tourne sur moi-même dans ma loge, m'arrête à nouveau devant mon miroir, dis-moi...Dis-moi dis-moi qui est la plus belle? Je prends la perruque de la tête tranchée sur le comptoir...J'aime glisser mes doigts dans les cheveux doux qui, pour l'instant, ne sont pas les miens...J'aime toucher ce qui n'est pas encore moi...Je pose la perruque sur ma tête...I want to see some dissipation in my face...Mes cheveux courts se font engloutir par la blondeur platine de la perruque...Tu phagocytes mes poux, Mathurin, dévores mes plantureux parasites...I want to see some dissipation in my face...Tu réchauffes mon corps esquissant des pas de danse sur mes talons hauts, au centre de gravité de ma loge...Je cambre les reins, me prépare à aguicher le tout-venant ruant dans les brancards à braguettes...Je sais dresser le gibet et nourrir le gibier...J'ai ce don qu'ont les fées de savamment couper les têtes, coiffer les plexus en colère, faire la fête sous les feux de la rampe...Ça y est, mon spectacle va commencer! Je relève mon bustier de paillettes sur ma poitrine absente, mon torse palpitant de jeune homme abattu, mon coeur...I wanna be evil...I wanna be mad...C'est le moment, Thierry, allez bonne nuit...Maman Candy est prête...»
Territoire de trappe par Sébastien Gagnon et Michel Lemieux paru en 2022 aux éditions Triptyque dans la collection Satellite. Il était une fois dans le nord québécois, plus précisément à deux jours de marche de la rivière Mistassini, le long de la Platte. Léon revient passer Noël chez lui après une absence de quatre mois pour aller chasser avant l’expédition de trappe accompagné de Wilbrod, de Cyprien et de Reth, aussi nommé par les Innus, Asthen, l’esprit anthropophage. Ils rejoignent, un poste de traite moribond, à l’allure désincarné, plus proche d'un assemblage de taudis rafistolés qu’autre chose. La plupart des habitants s’évertue à dissimuler leur passé et à attendre de mourir dans le froid. Léon avance vers chez lui, tout est à sa place à l’intérieur sauf l’essentiel : Rose, sa fille et Almas, sa conjointe ont disparu. Elles pourraient être sorti, sauf qu'ici, passé les dernières cabanes du village, confronté à la rivière non navigable et l’immensité de l’hiver, on n’y pense même pas. La carriole du curé Edmond qui s’annonce dans les hurlements de bourrasque ne lui dit rien qui vaille. Ajouté à cela, la canaille de maire du village qui paye ses dettes avant son arrivée. Rien ne colle parfaitement dans le tableau. Et l'hiver avance inexorablement. De ce point de vue, on pourrait s’attendre à un récit sinistre et déprimant. Pourtant pour un premier projet mené en commun, les auteurs déploie un humour froid et rageur pour décrire l’histoire d’un pays qui va changer de siècle. Pour l’instant seul les plus violents, les plus cyniques vont tirés leur épingle du jeu. Malheur, aux pourris, aux lâches, aux corrompus, aux moches et aux affreux, l’avenir leur est condamné. Un futur qui s’ébauche au féminin. J’accueille, ce soir, à Mission encre noire les gagnants du prix du meilleur roman du salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Sébastien Gagnon et Michel Lemieux.
Extrait:« Sur le poêle, le chaudron crépite de plus en plus à mesure que le feu prend de la vigueur et que l'eau gelée dedans fond. Léon plisse les yeux en inclinant l'ultime feuillet dans la lumière offerte par la porte ouverte du poêle. Les derniers mots gris pâle, tracés à la mine de plomb sur du papier grossier, sont pénibles à déchiffrer. Quand il y parvient, il découvre cette phrase en guise d'épitaphe: « J'ai bien hâte que mon père s'occupe de plumer toutes ces poules mouillées.» Le trappeur s'accroupit, brûle tranquillement chacune des pages, laisse les flammes sécher les larmes sur son visage débâti par les remords et la fureur. C'est sans aucun doute Ti-Paul, pressent-il, qui a fait disparaître Rose - une certitude puante comme la pisse du carcajou. Et une autre affaire empeste au moins autant: chacun des habitants de sa localité s'en lave les mains. S'il en est ainsi, alors tout le monde va devoir payer. Le feu qui dévore les mots de sa fille s'étend aux entrailles de Léon. Le cahier, en finissant de se consumer, devient une belle métaphore du tas de cendres qu'est devenue la vie du trappeur.»