Tue 14 Mar 2023
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Mission encre noire

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Mission encre noire



Mission encre noire Tome 37 Chapitre 405. Cet exécrable corps, dissection de la grossophobie internalisée par Eli San paru en 2023 aux éditions Remue-ménage avec des illustrations de l’autrice. Si «ce corps me pousse à hurler», ce sont les premiers mots du texte, il permet aussi d’écrire sur la grossophobie ambiante. Il faut du cran lorsqu’on a mal à la peau, lorsque votre propre organisme vous dégoûte, lorsque votre morphologie devient une véritable prison, pour prendre la plume pour creuser plus profond. Tout en étant admiratrice de leur audace, et de la détermination du collectif, l’autrice avoue avoir de la difficulté à adhérer complètement au mouvement body positive, bien malgré elle. Aucune animosité à cela, de sa part, Eli San partage le même constat, les grosses personnes font l’objet d’une stigmatisation sociale omniprésente. La militante féministe et bibliothécaire montréalaise se met à nu, dans son intimité, dans son quotidien. Si personne n'ose vraiment le faire, l'autrice se réapproprie un champ d’expression de soi, au risque de déplaire. Parler de ses inconforts, des difficultés rencontrées dans sa vie amoureuses, de s’habiller à son goût, de monter des escaliers, bref, que ce soit dans la désinvolture ou l'aveu de faiblesse, Eli San est loin de vouloir se décourager, ni loin de vouloir blesser qui que ce soit. Ses confidences font mouche. Justement, parce que l’autrice s’y révèle vulnérable.Et dans ce miroir d’elle-même qu’elle nous tend, de toute cette haine de soi qui refait surface assurément, elle déclare la guerre aux préjugés: c’est le travail d’une vie. Pour en finir de vivre dans l’invisibilité j’accueille, ce soir, à Mission encre noire, Eli San.
Extrait:« (Ce corps) Il détermine à quels stimuli je porte attention, partout autour de moi. Quand je vois une pub qui capitalise sur l'image de la femme, je tombe dans le piège des codes qui font vendre. Ma conscience féministe s'entre-déchire. J'observe les corps des mannequins, je suis appâtée par elles même si je songe au fait qu'elles pourraient casser en deux sous le poids d'un sac à dos. Je me surprends à rêver de me blesser de la sorte. J'aimerais avoir le luxe de choisir d'adhérer ou non à ces codes. Mais confinée à la marge, je jongle entre colère et envie. Vouloir le même corps qu'elles, mais ne rien faire pour y arriver. Vouloir que tous les corps aient leur place dans la société, mais encore ne rien faire, mis à part pondre quelques lignes revendicatrices pour apaiser temporairement ma rage. Je stagne parce que l'autodestruction est un pauvre vecteur de changement. La haine consume toute l'énergie dont j'aurai besoin pour me construire, me révolter - ou les deux.»
La Revue Moebius 176, un numéro spécial 45 ème anniversaire intitulé « Quand nous nous voyons nous savons», une citation de Jean-Paul Daoust Tirée de «Mais cette lettre est une belle extravagance» datant du Moebius 120 de 2009. Joyeux anniversaire la revue Moebius! Crée en 1977 par Pierre Desruisseaux, Raymond Martin et Guy Melançon, la revue se veut être un laboratoire d’écriture, un foyer de culture qui valorise autant les formes et les genres littéraires les plus varié.e.s, que la mise en scène de la subjectivité et l’expérimentation. Passée de main en main, d’une direction littéraire à une autre, Moebius a su se renouveler et se révèle depuis, un creuset exceptionnel pour accueillir les nouvelles voix d’ici et d’ailleurs, pour désencastrer les imaginaires, dépoussiérer les héritages égarés. De cet esprit d’audace et disons le, de style, la revue vous donne bien souvent l’occasion de découvrir les premiers textes inédits d’auteurices confirmé.e.s, ou en devenir. Gérald Gaudet, Fiorella Boucher, Gabrielle Giasson-Dulude, Julien Guy-Béland, Sanna, Denise Desautels, Catherine Parent, Flavia Garcia, Louise Marois, Karianne Trudeau-Beaunoyer, Justice Rutikara, Jean-Paul Daoust, Caroline Dawson, Marie-Celie Agnant, Valérie Savard, Jeannot Clair, Nelly Desmarais, et Virginie Fauve , sous la direction éclairée de Nicholas Dawson et Alex Noël, toutes et tous se prêtent au jeu de la correspondance, à l’image de la rubrique culte qui paraît à chaque numéro de la revue, la fameuse lettre à …. Chaque voix s’élance fébrile ou assurée, traverse les genres et les générations «dans l’obscurité fertile de la littérature», comme annonce le préambule. J’accueille les deux chefs d’orchestre de ce bal d’anniversaire littéraire, à la baguette, ce soir, à Mission encre noire, Nicholas Dawson et Alex Noël sont nos invités.
Extrait:« Je ne suis encore jamais allé voir l'océan des arabesques ni les champs de la Palestine pour me reposer à l'ombre d'un olivier un après-midi après une récolte. Je n'ai jamais couru un matin dans les rues de Londres ou parcouru les collines fraîches de Ramallah pour déguster un thé à la menthe en récitant les poèmes de Darwich. Je n'ai jamais surveillé l'horizon du Moshav de Kfar Malal avec un fusil allemand ni attendu désespérément le réveil de mon père tombé dans le coma. Et pourtant, je comprends ce que c'est d'être un enfant déraciné qui rêve en couleur de prendre sa place dans ce monde trop grand, mystérieux et souvent absurde. Né au Rwanda, à quelques mois de la tragédie nationale de 1994, je suis depuis un exilé de ces terres qui ont pourtant façonné des générations et des générations de mes ancêtres. Malgré cette perte, à une dizaine de milliers de kilomètres de ces mille collines, je songe et réalise des histoires cinématographiques qui m'aident à valider mes sentiments uniques et pourtant partagés avec tant d'autres individus de ce monde. Je comprends ce que cela signifie d'être un.e adulte au passé lié à la guerre et au déplacement et qui préfère poétiser ses tourments à travers des fictions au lieu de les reproduire fidèlement. Je comprends ce que c'est d'être un homme-enfant d'expatrié.e.s dont le peuple a été persécuté et consumé par la haine jusqu'à devenir prédateur d'humains.»